Aperçu sur la persécution religieuse en URSS

Aperçu sur la persécution religieuse en URSS

( Extrait de "Catholiques en Russie, d'après les archives du KGB 1920-1960 Par Antoine Wenger Ed; DDB 1998)

La grande terreur des années 1937-1938 est connue et reconnue parce qu'elle a touché le parti et l'armée. Celle qui, des années 1929 à 1933, a décimé la paysannerie de l'URSS par la transformation de l'URSS par la transformation de la terre en kolkhozes et qui a coûté la vie a plus de dix millions de paysans avec leurs familles, transportés comme des bêtes dans le Nord et en Sibérie, est évoquée d'une manière générale dans les manuels d'histoire, mais sans données chiffrées. Des persécutions religieuses, il n'est guère parlé, ou si peu. Et pourtant le courant le plus important qui a déversé ses flots ininterrompus sur l'archipel du Goulag est celui de centaines de milliers de croyants, hommes et femme, femmes surtout, de toutes confessions, avec leurs ministres du culte. Or, il est le plus souvent ignoré ou volontairement passé sous silence.

"L'extermination radicale de la religion dans ce pays, écrit Alexandre Soljentitsyne dans L'archipel du Goulag 1 (p 34),  qui tout au long des années 20 et 30 fut l'un des buts importants du Guépéou-NKVD, ne pouvait être réalisée que par l'arrestation massive des fidèles orthodoxes eux-mêmes. On extrayait, incarcérait et exilait de manière intensive les moines et les religieuses dont la présence souillait tellement la Russie d'avant. On arrêtait et jugeait les fidèles particulièrement actifs. Le cercle s'élargissait sans cesse et voilà que déjà l'on ratissait de simples fidèles, vieilles gens, surtout des femmes dont la foi était plus opiniâtre et auxquelles on donna désormais, et pour de longues années, dans les prisons de transit et les camps, le surnom de "bonnes soeurs".

Alexandre Iakovlev, ancien membre du Politburo, rallié à Gorbatchev puis à Boris Eltsine, a communiqué, au cours d'une conférence de presse le 27 novembre 1995, un chiffre approximatif des victimes de la répression religieuse : 200.000 prêtres, des millions de croyants. La presse mondiale lui fit largement écho, comme s'il s'agissait d'une révélation. Président de la Commission pour la réhabilitation des victimes de la répression du régime communiste. A Iakovlev, sur la question dans le supplément de Rossiiskaïa Gazeta du 7 mai 1996, en pleine campagne donc pour l'élection présidentielle en Russie, 16 juin-3 juillet. "Je préside, écrit-il la commission de réhabilitation. J'estime que c'est mon devoir moral de mener ce travail à son terme. Quelle résistance des tchinovniki (bureaucrates) il a fallu vaincre. Le dernier oukase du président de la réhabilitation du clergé s'est promené un mois et demi sur la table des chefs (de section). Ils ne veulent signer : "Pourquoi,disaient-ils, remuer le passé?" On trouve les mêmes dispositions chez les bureaucrates moyens. Voici que quelque chose bouge. Ils sont prêts à retourner en arrière. A présent, ils peuvent prendre des pots de vin impunément, fixer des tarifs à des chercheurs, que de toute façon - sous les bolcheviques - s'ils devaient revenir - ils mettront en prison. (Effectivement, la page des archives du KGB se paie aujourd'hui un dollar).

L'essentiel du rapport de la Commission a été rendu public par Rousskaia Myssl, dans son numéro du 18-24 janvier 1997. Le document couvre l'époque de 1917 à 1980, parle surtout s'agissant de chrétiens, des orthodoxes, laissant de côté les baptistes, les catholiques et les gréco-catholiques (ou uniates), comme s'ils avaient vécu en pazix sous le régime communiste, alors qu'ils figuraient, malgré leur petit nombre, aux premières lignes des victimes de la répression. C'est Soljenytsyne encore qui écrit à leur sujet : "Au passage, les "catholiques orientaux" (disciples de Vladimir Soloviev) avaient tous été neutralisés et les uns et les autres, jetés en prison, de même que le groupe de A.I.Abrikosssova. Quant aux simples catholiques, les prêtres polonais, ils allaient pour ainsi dire d'eux-mêmes en prison" (ibid.)

Reste que ce document est précieux, qui reconnaît en préambule : "Le pouvoir bolchevique a menti sciemment en déclarant qu'en URSS régnait la pleine liberté de conscience et de confession. En réalité,partant de la définition marxiste de la religion comme opium du peuple les bolcheviques, aussitôt après la prise du pouvoir, ont mené un combat résolu contre l'Eglise. L'extermination de la religion, l'extirpation de la foi en Dieu et du sentiment religieux avaient pour but de faire place nette à une conscience et à une idéologie communiste. "Le document énumère ensuite les principaux épisodes de la persécution religieuse, d'une manière plus anecdotique que scientifique : la saisie des biens précieux de l'Eglise, et à ce propos la lettre de Lénine à Molotov de mars 1922, disant que le moment était venu de tuer le plus grand nombres de fidèles avant la conférence de Gênes, lettre dont l'existence fut longtemps cachée par le Pouvoir, révélée et publiée la première fois par Nikita Struve dans le Messager Orthodoxe (IV, 1970) ; campagnes sacrilèges contre les fêtes de Noël et de Pâques (1925-1930), campagne pour l'enlèvement des cloches, accompagnant la collectivisation des terres (1929-1931), ponctuée par le coup d'arrêt de l'article - hypocrite - de Staline. "Le vertige du succès) (2 mars 1930).

A partir de 1937, année de la grande terreur, les données sont plus précises. Le rapport permet d'établir le tableau suivant :

Années                                 Prêtres orthodoxes arrêtés                                   Dont fusillés

1937                                                  136.900                                                  83.500

1938                                                   28.300                                                      21.500

1939                                                    1.500                                                     900

(toutes religions confondues)

1940                                                    5.100                                                        1.100

1941                                                     4.000                                                        1.900

Ce qui restait des paroisses et des prêtres à la veille de la Grande guerre nationale était surveillé par un agent du KGB et un collaborateur secret. Pendant la guerre, la persécution religieuse s'est quelque peu ralentie. "Pour obtenir des Alliés l'ouverture d'un deuxième front, dit ce document, il fallait leur montrer que le gouvernement soviétique vivait en bonne entente avec les confessions religieuses, surtout avec l'Eglise orthodoxe. En 1943 eut lieu la réanimation de l'institution pré-révolutionnaire de l'oberprocureur (placé à la tête du Saint-Synode dirigeant créé par Pierre le Grand en 1751). Mais tandis que l'oberprocureur de la Russie  (placé à la tête du Saint-Synode dirigeant créé par Pierre le Grand en 1721). Mais tandis que l'oberprocureur de la Russie tsariste n'avait pas de liens avec la police secrète, le Conseil pour les affaires de l'Eglise orthodoxe était devenu en réalité une filiale du KGB-NKVD".

Cette affirmation est sévère pour l'Eglise orthodoxe. Cette Eglise eut certes, et parfois au sommet, ses collaborateurs secrets et, pour cette raison surtout, elle refuse d'ouvrir ses archives par crainte a dit Cyrille de Smolensk, président du Département des relations extérieures de provoquer un schisme. Mais je ne crains pas d'affirmer que l'Eglise orthodoxe russe a subi la plus longue et la plus terrible persécution de toute l'histoire chrétienne. Elle s'honore du plus grand nombre de martyrs et confesseurs de la foi. Pour ce motif, elle est l'objet de notre admiration, car le sang de ses martyrs est pour elle l'objet de notre admiration, car le sang de ses martyrs est pour elle la promesse d'une profond renouveau religieux, "car là où est le péché a proliféré la grâce à surabondé" (Rom 5.20) Mais cela suppose aussi que soient liquidées les inévitables séquelles de soixante-dix ans de persécution. Je pense à l'ignorance religieuse et à l'anti-oecuménisme notoire que caractérisent aujourd'hui une grande partie de son clergé, de la plupart de ses moines sans oublier quelques évêques.

L'Eglise orthodoxe était persécutée dès le lendemain de la révolution d'Octobre. Par un événement providentiel, elle avait pu se donner, à l'occasion du concile russe, un patriarche en la personne du métropolite Tikhon, élu le 5 novembre 1917 (ancien style), qui s'efforça de sauver l'unité du troupeau (1)

(1) Le patriarche Tikhon fut canonisé à l'occasion des cérémonies du millénaire du baptême de la Russie (988-1988). Le concile des évêques russes de 1992 canonisa le métropolite Vladimir de Kiev et le métropolite Benjamin de Petrograd. L'assemblée des évêques, qui s'est tenue du 18 au 23 février 1997, a décidé de canoniser le métropolite Pierre de Kroutitski (1862-1937), le métropolite Séraphim (1856-1937) et l'archevêque Thaddée (1872-1937), tandis qu'elle confiait l'examen de la cause de la famille impériale, assassinée la nuit du 16 au 17 juillet 1917, à une commission historique.
 
Mais les bolcheviques estimèrent que la révolution politique et sociale devait s'accompagner d'une révolution dans le domaine de la religion. Quelques évêques, des prêtres et des laïcs avec l'appui du pouvoir de l'Eglise vivante, qui sera appelée dès 1923 l'Eglise des Rénovateurs.
En 1923, un pseudo-concile de cette Eglise mettant à profit l'arrestation du patriarche, prétendit le déposer. Mais le peuple orthodoxe resta fidèle à son nouveau patriarche. Tout au long de notre récit, il sera question de deux groupes orthodoxes, l'Eglise tikhonienne ou patriarchiste de l'Eglise "vivante" ou synodale, ou des Rénovateurs. Les principales innovations de cette dernière étaient d'ordre disciplinaire : elle se ralliait au calendrier grégorien, adopté par les Soviets (nouveau style), acceptait le mariage des évêques, le remariage des prêtres veufs et ici et là, l'usage du russe à la place du slavon. Et surtout elle collaborait avec les Soviets.
 
Le patriarche Tikhon est mort le 7 avril 1928. Dans son "testament", il demandait aux fidèles la soumission au pouvoir établi, car tout pouvoir vient de Dieu Dans les difficiles conditions de la succession, le métropolite Serge de Nijni-Novgorod, après l'arrestation le 15 décembre 1925, du métropolite Pierre (Polianski) nommé gardien du trône patriarcal à la mort de Tikhon réussit à prendre la direction de l'Eglise, non sans accepter un compromis avec le pouvoir communiste dans sa Déclaration de ralliement du 29 juillet 1923. Cette humble reconnaissance du pouvoir athée et persécuteur provoqua de nouveaux schismes dans l'Eglise et la persécution à la fois contre l'Eglise ralliée et contre l'Eglise dissidente continua de plus belle.
Quand la guerre éclata, l'Eglise orthodoxe appela résolument à la défense de la patrie et contribua avec générosité à l'effort de guerre. Le 3 septembre 1943, Staline signa la "paix" avec l'Eglise orthodoxe. Serge, gardien du trône, fut élu patriarche le 8 septembre 19433. Il est mort le 15 mai 1944. Lui succéda Alexis 1er,2 février 1945.-17 avril 1970. Son successeur, Pimène gouverna l'Eglise  du 3 juin 1971 au 3 mai 1990. Alexis II fut élu patriarche le 10 juin 1990. Il a présidé une Russie libérée du communisme, mais non de désordres de la mafia, aux destinées de l'Eglise orthodoxe redevenue libre, quoique liée au président Eltsine, dont en 1996 elle a favorisé la réelection et au maire de Moscou, Loujkov, grâce auquel a pu être reconstruite la cathédrale du Saint Sauveur, symbole de la renaissance religieuse russe et de la victoire sur le mal. Monument sur l'ancienne piscine "Moskva" à l'abandon depuis 1891 On peut cité le cri prêté par l'historien Théodoret de Cyr à Julien, l'empereur apostat, mortellement  blessé dans sa retraite de Mésopotamie (362) "Galiléen tu as vaincu".
Réduite au silence après la mort du patriarche Tikhon, l'Eglise a néanmoins gardé ses archives. A partir de 1931, elle a publié une pauvre, mais combien précieuse revue : "Journal Moskovskij Patriarkh. Le métropolite Manouïl Lemechevski a composé un manuscrit, Les évêques orthodoxes russes de 1893 à 1865 dont la traduction est en cours en Allemagne par l'université d'Erlangen. L'ouverture des archives aussi bien du patriarcat, toujours retardée, que du FSB ou KGB fournira des données inépuisables sur l'histoire des confesseurs et martyrs de la foi orthodoxes. Au regard de cette belle profession de foi, les compromissions d'évêques et de prêtres, des fidèles aussi, si graves qu'elles aient pu être, s'évanouiront devant cette lumière comme la nuit disparaît devant le jour. Réduit à ne parler ici que des martyrs et confesseurs de la foi de l'Eglise catholique, je dois dire un mot du grand nombre de fidèles, anciens orthodoxes, devenus catholiques, que nous rencontrons dans cette histoire.

Réflexions sur le passage d'orthodoxes à l'Eglise catholique.

Leur nombre relativement élevé, vu la minorité catholique, n'est pas sans poser des questions. L'Eglise orthodoxe, surtout les tikhoniens, était, elle aussi, persécutée et offrait à ses fidèles tous les moyens de sanctification, y compris jusqu'à la confession de foi et le martyre. Malgré cela, le Père Serge Soloviev, neveu de Vladimir Soloviev, représentait par son exemple et son enseignement une attirance vers l'unité catholique. Neveu, sa correspondance le prouve amplement, était un apôtre zélé, d'une grande culture littéraire et historique, mais d'une théologie marquée des étroitesses propres à son temps et à son milieu dans le domaine de l'oecuménisme. Alors faut-il penser que certains orthodoxes sont venus à lui et se sont faits catholiques pour être secourus? La chose n'est pas à exclure, mais le docteur Titov, médecin qui s'est fait catholique, n'avait pas besoin de secours matériel ; c'est plutôt lui qui a secouru Mgr Neveu, en le soignant gratuitement Et ce n'est qu'un exemple. Malgré la persécution, l'on vit se reproduire le phénomène que connut la Russie au XIXe siècle, où une partie signalée de son aristocratie passa au catholicisme : les Galitsyne, les Gagarine, les Boutourline, les Narychkine, Mme Svetchine, Mme Rostopchine, attirés par son universalisme (2)

(2) J'aime citer ici, comme un curiosité plutôt qu'une autorité, le témoignage de Svetlana Alleluieva, la fille de Staline, qui au terme de ses variations est entrée dans l'Eglise catholique à Londres le 2 décembre 1972. Dans une lettre, datée du 21 juillet 1987, dont le destinataire m'a transmis la copie elle écrit : "La foi catholique romaine, c'est la grande espérance du monde entier, parce qu'elle embrasse tous les pays, tous les peuples, toutes les races et toutes les nations. Notre grand Viatcheslav Ivanov (que j'adore) a montré sa grande sagesse quand il s'est uni au catholicisme romain. (Le grand poète V.Ivanov est entré dans l'Eglise catholique à Saint-Pierre de Rome le 17 mars 1926, jour de la saint-Venceslav en Russie, 4 mars ancien style. Il se sentit alors, comme il l'a écrit dans sa lettre à Charles du Bos, le 15 octobre 1930 "respirer des deux poumons," Voir texte dans V.Ivanov-M Gerchenson, correspondance d'un coin à l'autre. Ed. L'Age d'homme, annexe p 85-92);
 
 et la culture occidentale : pour la raison aussi que l'Eglise était souvent l'humble servante Nous en avons un exemple en, Julie Danzas, dont nous avons traité dans " Rome et Moscou" : un autre en Mme Elisaveta Gueorguievna Bordelius, apparentée aux Samarine, Ossorguine, Benckendorf et qui avait épousé un prêtre. L'un et l'autre de haute spiritualité avaient comme directeur de conscience le Père Gueorgui, l'un des derniers starets d'Optima Poustyne, fermé en 1927. Mme Bordelius embrassa secrètement le catholicisme le 27 mai 1928 en la fête de la Pentecôte. Comme elle ne pouvait plus longtemps garder secrète sa conversion, la femme et le mari s'en vinrent trouver Mgr Neveu, qui nous a rapporté le récit de l'entretien dans sa lettre du 1er octobre 1928, en la fête de la Pentecôte. Comme elle ne pouvait plus longtemps garder secrète sa conversion, le mari et la femme s'en vinrent trouver Mgr Neveu, qui nous a rapporté le récit de l'entretien dans sa lettre du 1er octobre 1928 : 
"Avant hier, samedi, après ma messe, à la sacristie de saint-Louis, j'eus une très longue conversation avec le brave pope, mari de cette matouchka, qui a embrassé le catholicisme à la Pentecôte. J'avais prié cette dame de tenir secrète sa conversion. Harassée de questions par son mari, elle lui avoua son passage à l'union. Le mari, rapporta la chose à l'évêque Emmanuel, leur doukhovnik, à tous les deux. Tous les deux se prétendent bien disposés pour l'union; mais dit le pope : "Je suis l'enfant obéissant de mon Eglise : lorsqu'elle fera en corps sa réunion à Rome, je la suivrai avec bonheur, mais jusque là, je ne veux pas me séparer d'elle. De plus, nous songeons, l'un et l'autre, à la vie monastique, il y a tout un groupe d'hommes et de femmes qui partagent nos idées. S'ils apprennent que ma femme est devenue catholique, cela les éloignera davantage du catholicisme, Si elle s'entête, je serai obligé de donner officiellement cours à l'affaire devant l'autorité ecclésiastique, on nous séparera et je ne pourrai plus l'entretenir ni elle ni sa mère. Elle se guide bien plus par la tête que par le sentiment : les théories lui plaisent et lorsqu'elle sera tout à fait séparée de nous, elle le regrettera et tentera de revenir vers nous.  Aussi vous seriez bien bon, de l'empêcher de commettre cette imprudence. "
Le brave homme est très pieux, on le voit, mais mal éclairé. Il a été officier et a étudié pendant deux ans de façon quelconque pour se préparer au sacerdoce. Je lui réponds en substance qu'il est impossible de condamner et de repousser un orthodoxe, qui, pour le salut de son âme, se croit en conscience obligé de s'unir explicitement à l'Eglise catholique; que la conversion de cette dame aura aussi l'avantage de montrer à d'autres orthodoxes la voie qu'ils ont à suivre et que Dieu assistera ceux qui lui demanderont le pain quotidien. Je lui dis cela très amicalement. En partant, il me dit que l'évêque Emmanuel,prévenu de la démarche qu'il faisait à l'instant, lui avait permis de me demander ma bénédiction. Je l'embrassai en lui disant que j'honorais en lui le sacerdoce unique institué par Jésus-Christ et je lui adressai les paroles du prêtre au diacre au moment du baiser de paix : "Que le Christ soit entre nous." à quoi il fit la réponse liturgique : " Il est et il y restera." La matioucka qui craignait, je ne sais pourquoi, que je faiblisse devant mon mari, fut heureuse de voir que je n'avais pas vendu mon âme pour la commodité des autres et pour un morceau de pain."
 
Le Père Soloviev exerçait une séduction sur la jeunesse universelle, où, jusqu'en 1929, il enseignait le grec. Il dirigeait ensuite ses "convertis" vers Neveu. Le cas de Mgr Barthélémy et de ses patientes est particulier. On le verra dans le chapitre qui lui est consacré. Il faut dire aussi, que certains passages à l'Eglise catholique se sont faits sans l'intervention de Mgr Neveu. Le Père Patapi Emilianov, curé d'un gros bourg de Karkhov, Nijinaïa Bogdanovka, est entré dans l'Eglise gréco-catholique de Mgr Szeptitski avant même d'avoir connu Mgr Neveu, dont il sera plus tard un ami fidèle, et paya cette fidélité de dix ans de bagne à Solovki.
Les "conversions", qui furent nombreuses dans le groupe des dominicaines, peuvent s'expliquer aussi par le triste état où se trouvait l'Eglise orthodoxe en 1922, déchirée par des querelles et des schismes, au point que même un esprit aussi orthodoxe que le Père Serge Boulgakov fut, en 1920, tenté de catholicisme. La revue "Simvol" des Pères jésuites de Meudon a, en 1922, publié son récit Sous les murs de Chersonèse.
Faut-il expliquer ces "conversions" par le pain? Sauf exception, nous le pensons pas. Entrer dans l'Eglise catholique était plutôt se condamner à le perdre et à se désigner comme victime au NKVD. Si pour le croyant orthodoxe pratiquer sa religion, élever chrétiennement ses enfants, était un motif suffisant pour encourir l'article 58.10 : "organisation antisoviétique, que dire du chrétien qui, par son rattachement à l'Eglise catholique, comprise comme étant le Vatican, encourait l'article 58.1A Relation avec un Etat étranger et 58.6 La recherche d'informations au profit d'un Etat étranger, 58.10 propagande et agitation antisoviétique et 58.11 toute activité organisatrice. 

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Progrom contre les catholiques.

Le procès contre l'évêque Cieplak et ses compagnons.

Au début du XXe siècle s'est constitué à Saint-Petersbourg un groupe de chrétiens orthodoxes qui s'étaient unis à l'Eglise catholique, en gardant fidèlement la spécificité russe du rite oriental. Le groupe n'avait pas d'existence légale dans une Russie où la religion dominante était l'orthodoxie et où les catholiques, reconnus depuis l'édit de tolérance de 1905, devaient être de rite latin. Aussi bien ces catholiques se sont-ils réjouis de la chute de la monarchie. Dès mars-avril 1917, ils ont pu tenir un synode sous la présidence de Mgr Szeptiski, rentré d'exil. Mgr Feodorof fut nommé exarque et Vladimir Abrikossof fut ordonné prêtre pour le groupe russo-catholique de Moscou. Il était le mari d'Anna Ivanovna Abrikossova, sa cousine, qui dirigeait à Moscou un groupe de religieuses du tiers ordre régulier de Saint- Dominique, également de rite oriental, créé à l'initiative du Père Libercier, curé de Moscou, dominicain du Tiers ordre enseignant, juste avant son départ de Russie en 1912. (1)

(1) Sur l'exarque Feodorov, voir Paul Mailleux s.j. ; sur les Abrikossov,, P.Philippe de Régis, SJ "Sainte Catherine de Sienne à Moscou," dans Unitas n° 3 (1946); sur les soeurs dominicaines de Moscou, P.A.K Ezser, "Ekaterina Sienskaya (Anna Iv.) Abrikossova und die Gemeinschaft der Schwesternens des III Ordens vom Hl. Dominikus. 
 
La liberté dont jouissait le groupe fut de courte durée. Les hommes de la révolution d'Octobre virent d'un mauvais oeil ce groupuscule aux allures secrètes, qui professait son union à Rome et qui en recevait les instructions. Cet esprit d'universalité attira dans son sein une femme éminente, écrivain, professeur d'université, Julie Danzas, qui passa au catholicisme le 3 septembre 1920 et fit voeu de religion entre les mains de l'exarque Feodorov, à Petrograd, le 1er novembre 1921, sous le nom de soeur Justine. Dès septembre 1922, le Père Abrikossof fut expulsé de Russie et s'embarqua à Petrograd, le 22 septembre par le fameux bateau des philosophes et savants - ils étaient plus de deux cents - jugé irrécupérables pour le régime par Lénine.
En mars 1923, eut lieu à Moscou, le procès des catholiques latins, qui avaient refusé d'accepter la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat et la saisie violente des biens de l'Eglise. Mgr Cieplak fut jugé avec une dizaine de prêtres latins, auxquels on adjoignit Mgr Feodorov et le laïc V.V. Balachev, rédacteur de la revue du groupe "Slovo Istini" (La parole de Vérité) .Le procès, commencé le 23 mars 1923, s'acheva  par la condamnation à mort de Cieplak, peine commuée en dix ans de prison de régime sévère, et de son vicaire général Mgr Boudkévitch, exécuté la nuit du samedi au dimanche de Pâques, 31 mars - 1er avril, à la prison de Sokolniki,premier martyr de l'Eglise catholique latine dans la nouvelle Russie bolchevique.
Fidèle à sa méthode de toujours nier la réalité des persécutions pour cause de religion, le tribunal révolutionnaire a condamné Mgr Boudkevitch, curé de l'église Sainte-Catherine sur la Nevski Prospekt à Petrograd pour "trahison en raison de ses liens avec le gouvernement polonais. La condamnation de Mgr Cieplak, l'exécution précipitée de Mgr Boudkiévitch suscitèrent une vive émotion dans le monde occidental, principalement au Vatican et en Grande-Bretagne. Le procès intenté à la minorité catholique n'était en effet que le prélude à celui que les Soviets au patriarche Tikhon, aux arrêts domiciliaires au Donskoï Monastyr depuis le 9 mai 1922 (nouveau style).
Au nom du gouvernement britannique l'agent de la représentation commerciale Hodjon remit, le 8 mai 1923, au commissaire des Affaires étrangères un mémorandum sur les atteintes à la liberté religieuse en URSS. La réponse de Maxime Litvinov, vice-commissaire fut publiée dans les Izvestia du 16 mai 1923 : " En vue d'une juste information, le gouvernement russe estime indispensable de réfuter de manière catégorique l'affirmation de persécution contre quelque religion que ce soit. La justice soviétique ne s'intéresse aux personnes ecclésiastiques que dans la mesure où elles utilisent leur condition de serviteurs du culte à des fins dirigées contre la sécurité intérieure ou extérieure des Républiques soviétiques".
Plus hypocrite encore fut la réponse de la direction du Mouvement des réformateurs à l'Archevêque de Canterbury : " La direction de l'Eglise rénovée estime nécessaire de porter à la connaissance de Votre Grandeur que la vie religieuse jouit aujourd'hui en URSS d'une liberté qu'elle n'a jamais connue sous aucun des précédents gouvernements de notre patrie" (Izvestia du 15 mai 1923)
Emboîtant le pas au gouvernement soviétique et à l'Eglise rénovée, le procureur Krylenko, qui avait été l'accusateur au procès Cieplak vint trouver le 23 mai 1923 le Patriarche Tikhon au Donskoï Monastyr et lui notifia son transfert à la prison Loubianka où il fut retenu 38 jours.
L'émotion était grande chez les fidèles orthodoxes et dans le monde. Soucieux avant tout de la survie de l'Eglise orthodoxe en Russie, le patriarche signa le 16 juin 1923 une déclaration de repentance pour ses attitudes antisoviétiques et fut libéré des poursuites judiciaires le 25 juin 1923. Le procès espéré par les uns, redouté par les autres, n'eut donc pas lieu.
La nouvelle Union soviétique, qui était restée très isolée au plan diplomatique et dans le domaine économique après l'échec de la Conférence de Gênes (mars 1922), estima que le meilleur moyen pour faire taire les "peuples marchands" était de mettre hors de cause le patriarche Tikhon et d'envoyer hors de son territoire Mgr Cieplak. Le 21 mars 1924,Le Présidium du Tsik leva définitivement l'inculpation qui pesait toujours sur le patriarche Tikhon, et commua la peine de Mgr Cieplak en exil. Les deux décrets furent publiés simultanément dans la même page 4 des Izvestia du 22 mars 1924. La voie était libre désormais pour que l'historiographie soviétique appelle la grande vague de reconnaissance diplomatique de l'URSS, notamment par l'Italie, l'Angleterre, la France (28 octobre 1924)
 

Premières arrestations des soeurs dominicaines.

Nous nous sommes attardé sur le retentissement du procès de Mgr Cieplak et sur les imbrications avec les poursuites contre le patriarche Tikhon Il nous faut revenir au procès de 1923 et souligner le sort différent qui échut aux catholiques russes de rite oriental.

Au cours du procès, l'exarque Feodorov reconnut avoir rédigé avec l'avocat Kouznetsov, la proclamation contre la séparation de l'Eglise et de l'Etat. "Alors, lui dit le procureur, vous vous croyez au-dessus des lois soviétiques?" - Je reconnais les lois soviétiques, répondit Feodorov dans la mesure où elles ne sont pas contraire à ma conscience. La conscience est au-dessus de la loi. Une loi contraire à la conscience ne saurait lier."

L'exarque Feodorov termina sa déposition par cette noble déclaration : " Toute ma vie est basée sur deux principes : l'amour de la patrie, que je vénère, et l'amour de l'Eglise, à laquelle je me suis uni. Il m'est indifférent que l'on me condamne à dix ans d'emprisonnement ou à être fusillé, car je suis un catholique fanatique. Depuis le temps où je me suis uni à l'Eglise catholique, mon unique tâche a été de rapprocher ma patrie de cette Eglise, que je crois la vraie Eglise."

Les églises catholiques latines, fermées à l'occasion du procès, furent rouvertes au mois de juin 1923. A Julie Danzas, qui demandait pourquoi cette mesure ne s'appliquait pas aux oratoires des catholiques-russes, il fut répondu : "C'est parce que Fedorov est un homme très dangereux : son Eglise reçoit en secret des millions et fait partie d'une organisation catholique internationale. De la sorte, le problème est résolu. Votre Eglise sera liquidée.

Premières condamnations à Solovki.

Du 12 au 16 octobre 1923, furent effectivement arrêtés à Moscou, dans leur hôtel particulier de la rue Pretchinska ( de la Très Pure Mère de Dieu) transformé en monastère, Anna Abrikossova, le Père Nicolas Alexandrov, aumônier du groupe après le départ du Père Vladimir, Donat Novitski, Vladimir Balachov et dix religieuses dont la soeur Imelda Serebriannikova et Galina Fadeievna. L'affaire qui porte le  n° 21068, comporte l'accusation des liaisons avec Rome et de centres d'information concernant le procès Conradi, Russe blanc qui avait assassiné à Lausanne le 11 mai 1923, Voronski, chargé des relations commerciales de l'URSS avec l'Italie. Les religieuses recueillaient en effet les informations de la presse soviétique au sujet du procès pour le Père Abrikossof, qui avait formé à Rome un comité pour la défense des Russes catholiques vivant à l'étranger contre les tentatives de latinisation. Les arrestations de Moscou furent complétées par celles de Petrograd. Le 17 novembre 1923 y furent arrêtées Julie Danzas, le Père Jean Deubner et le Père Epiphane Akoulov.

Dans l'enquête de la personne arrêtée qu'Anna Abrikossova remplit le lendemain de son arrestation, à la question : " Rapports avec le pouvoir soviétique", elle répondit " Envers le pouvoir soviétique, je me conduis loyalement, parce qu'il m'a donné la possibilité de prier dans ma langue maternelle.  " Au sujet l'esprit et de l'orientation de ses religieuses, Anna Ivanovna déclara : "Tout catholique a le droit de participer activement aux choses de la cité." A la question : " Le catholicisme peut-il être mêlé à la politique?" elle déclara "je refuse de répondre, en ce sens que je ne me sens pas pas compétente sur ce point. Le but de notre communauté est le perfectionnement spirituel de celles qui y entrent par la prière, la pénitence et un sérieux travail sur ses défauts. Chaque religieuse, selon son propre désir peut se consacrer à une tâche particulière, mais cela est connu, mais cela est connu uniquement de la supérieure de la supérieure, et aucune des autres soeurs n'a connaissance de cette décision. C'est en ce sens que la soeur Entkievitch s'est consacrée à un acte spécial au salut de la Russie. Par le terme "Salut de la Russie" nous comprenons le salut des âmes russes." 

Si le Guépéou était si bien renseigné sur les orientations du groupe et sur les dispositions intimes des Soeurs, c'est grâce à sa méthode éprouvée, qui consistait à introduire un espion dans le groupe : un jeune homme s'était fait admettre au nombre des laïcs dirigés par Anna Ivanovna et le Père Nicolas Alexandrov, qui édifiait tous par sa piété. De même, des prêtres orthodoxes qui en 1922 avaient fréquenté les réunions "unionistes", avaient accusé le groupe de constituer une organisation contre-révolutionnaire. Au "témoin" qui affirmait : "Aux réunions, on parlait de créer des cellules de trois à cinq fidèles, qui formeront la base de l'organisation de la lutte contre les fidèles socialistes" le Père Nicolas Alexandrov, aumônier du groupe, répondit : "Je ne me souviens de rien de pareil. Je sais que que, lorsque le professeur Boïkov a fait des déclarations de nature politique, il fut aussitôt interrompu, et en premier, par le Père Abrikossov.La conclusion de l'enquête sur l'affaire n° 21068 précise : 

"Les personnes désignées représentent une organisation qui favorisait la contre-révolution mondiale par :

Le recueil d'informations et leur transmission à l'étranger sur la situation en Russie. Furent recueillies en particulier des informations concernant la procès de Conradi et Polouiline, assassins du camarade Voronski, dans le but de compromettre l'URSS et de justifier les assassins.

La poursuite de l'activité de Cieplak, Boudkievitch, Fedorov, avec lesquels les personnes données avaient non seulement des relations, mais réalisaient encore leur plan pour l'organisation d'une campagne  contre-révolutionnaire contre le pouvoir soviétique, en unissant ce mouvement autour de l'Eglise (catholique) et en jouant de l'ignorance des masses; Ce groupe avait des relations avec les missions diplomatiques, par lesquelles il transmettait les informations recueillies. Ces personnes se livraient à la diffusion du discours du pape de Rome, de contenu contre-révolutionnaire prononcé au consistoire, au sujet de la condamnation de Ciéplak, Doudkievitch et d'autres.

Ces personnes ont organisé des cercles illégaux qui s'occupaient de la diffusion du catholicisme en URSS, ainsi que des écoles illégales où l'on enseignait le catéchsime.

La sentence fut prononcée le 19 mai 1924, Anna Ivanovna fut condamnée à dix ans de prison. De Ekaterinenbourg, elle passera en 1926 à Tobolsk et de là, en avril 1929, pour cause de maladie à l'isolateur de Iaroslav. Le Père Alexandrov, les laïcs Donat et Balachov furent condamnés à dix ans de prison à Solovki, le Père Jean Deubner à l'isolateur de Souzda, le Père Epiphane Akoulov à l'isolateur de Souzdal, le Père Epiphane Akoulov à l'isolateur  d'Alexandrov-sous-Irkoutsk, Julie Danzas, les soeurs E.V. Vakhevtich et Entkevtich à la prison d'Irkoutsk et de là au printemps 1928 à Solovki. Après cette dispersion,, ne restèrent à Moscou  qu'ne soeur infirme, Tatiana Galkinal et la jeune soeur Alexandra Balacheva, laissée pour la soigner; enfin, la dernière recrue, Anna Zolkina, soeur Iacyntha, âgée de 22 ans; La soeur Galkina mourut en 1926 et en 1927 la soeur Balacheva fut arrêtée. La nuit du 19 août 1929, Neveu nous apprend que "deux religieuses dominicaines, les soeurs Vakhévitch, avaient terminé leurs cinq ans de Solovki et comptaient être libérées. Leur vieille mère, qui se meurt ici d'un cancer et qui ne vit que des aumônes du Saint-Père, part pour Leningrad, afin de voir ses filles ; on lui accorde généreusement une entrevue de vingt minutes.... et on lui apprend que ses filles doivent encore aller trois ans, l'une en Sibérie et l'autre à Narym." En fait, les deux soeurs furent reléguées à Kirensk, sur la route qui relie Touloune à Briatsk, tandis que la soeur Entkievitch fut expédiée  à Narym, sur le fleuve Ob, à 300 km du nord d'irkoutsk.

Le groupe des catholiques latins.

Après l'expulsion de Mgr Cieplak en 1924, qui avait suivi celle de Mgr de Ropp, archevêque de Mohilev en 1919, il n'y avait plus d'évêques catholiques en Russie. Or, il restait encore plus d'un million de fidèles catholiques latins, en Union Soviétique, dans les frontières définies en 1920 par le traité de Riga, qui mit fin à la guerre avec la Pologne. Ces fidèles étaient répartis dans les deux capitales, Moscou et Leningrad, dans les régions de la Volga et sur les bords de la mer Noire (colonistes allemands appelés par Catherine II), et en Sibérie (exilés polonais depuis le partage définitif de la Pologne en 1792 jusqu'à la chute des Tsars en 1917). S'il n'y avait plus d'évêques, il restait quelques 200 prêtres, la plupart d'origine polonaise, pour le diocèse de Mohilev, et une centaine, la plupart d'origine allemande, pour le diocèse de Tiraspol-Saratov, dont l'évêque, Mgr Kessler, avait quitté la Russie avec les Blancs en 1921. En Ukraine, restait une cinquantaine de prêtres latins du diocèse de Jitomir, une dizaine de prêtres de rite oriental dépendant du métropolite Szeptiski, et quelques dizaines de rite arménien au Caucase ou de rite oriental en Géorgie.

A Rome, le papa Pie XI s'inquiétait de cette situation; N'ayant pas réussi, par la voie des négociations, à rétablir une hiérarchie catholique en Union Soviétique, il se décida à procéder à de sacres clandestins. L'instrument de cette politique fut le père Michel d'Herbigny, recteur de l'Institut pontifical d'études orientales. A cet effet, il fut sacré en secret, alors qu'il était en route pour Moscou, par Mgr Pacelli dans la chapelle de la nonciature à Berlin, le 29 mars 1926. Arrivé , en Russie, il sacra à son tour Mgr Neveu, le 21 avril 1926, en l'église Saint-Louis-des-Français, à Moscou, dans le secret, en présence de deux témoins, comme administrateur apostolique de Moscou, Mgr Frison, administrateur d'Odessa et Mgr Sloskans, administrateur de Minsk, furent sacrés dans la même église, le 10 mai 1926. A l'occasion d'un nouveau voyage Mgr d'Herbigny ordonna évêque Mgr Maletski en l'église Notre-Dame de France à Leningrad, le 13 août 1926. Contrairement à ce qui a été écrit, Mgr d'Herbigny ne procéda pas à d'autres sacres d'évêque ni de prêtres. Enfin le Saint-Siège, profitant de la fin de l'empire russe, créa le vicariat apostolique de Sibérie, le 1er décembre 1921, érigé en évêché le 2 février 1923.; L'unique titulaire de ce siège fut Mgr Slvonski, qui s'est éteint le 5 janvier 1933 (lettre de d'Herbigny du 20 janvier 1933. (2) 

(2) Le dimanche des Rameaux le 31 mars 1996, un groupe de l'ambassade de France s'était rendu à Vladivostok pour saluer l'équipage de la frégate Nivose qui mouillait dans le port. Ils assistèrent à la messe du recteur américain Miron Effring, qui leur dit qu'il espérait retrouver la tombe de Mgr Slivonski pour transférer le corps à l'église.
Les catholiques, qui avaient accueilli avec faveur la chute de l'empire russe, espéraient trouver enfin la liberté qui leur avait toujours été refusée. Le Pouvoir soviétique qui, dès son avènement persécuta l'Eglise orthodoxe, arrêta et condamna à l'exil les membres du groupe Abrikossov, considéra comme quantité négligeable les catholiques latins répandus dans toute l'Union. Mais dès qu'il apprit que le Saint-Siège avait nommé des évêques latins sans son accord, il chercha à mettre fin à cette organisation hiérarchique. Mgr Neveu, qui avait pris possession de son église le 3 octobre 1926, par une déclaration de loyalisme envers la Russie, fut, dès le 18 octobre, décrété d'expulsion. Il ne dut son salut qu'à la fermeté de la France, mais son ministère fut désormais limité à la paroisse française de Saint-Louis de Moscou.
L'Eglise orthodoxe elle-même divisée entre partisans du patriarche légitime Tikhon et rénovateurs, adeptes d'une Eglise progressistes, ralliée au nouveau régime, acceptant le mariage des évêques et le remariage des prêtres veufs, n'attacha guère d'importance à ce qui se passait dans le groupe de catholiques latins.
Mgr Neveu, plutôt mal accueilli par le clergé polonais, mais non par les fidèles, trouva un ami et un confident dans la personne du Père Serge Soloviev, neveu du grand philosophe Vladimir Soloviev et responsable, après l'arrestation de l'exarque Feodorf, du petit reste des catholiques russes de rite oriental en Russie. Une profonde communauté de pensée sur les moyens et les buts de l'Union unissaient les deux hommes, de caractère pourtant très différent. Neveu étant un homme de raison et de coeur, le Père Serge, poète, émotif, aux pensées élevées mais aux nerfs fragiles. Le Guépéou suivait l'un et l'autre de près. Ainsi s'expilque le progrom contre les catholiques;

Arrestation du Père Serge Soloviev

L'arrestation des catholiques dans la nuit du 15 au 16 février 1931, frappa Neveu comme un coup de tonnerre en plein hiver. Il était en train de terminer sa correspondance du 16 février à Mgr d'Herbigny pour la valise bimensuelle de l'ambassade de France, quand on vint lui apprendre le malheur : "Un coup de théâtre... J'en étais là de mes écritures, lorsque fillette du Père Nicolas Alexandrov ( à Solovki) arrive m'annoncer que cette nuit, ont été arrêtés, le Père Serge Soloviev et la soeur Hyacinthe, la dernière dominicaine, qui n'eût jamais été arrêtée : la fillette logeait avec cette soeur ... Les bras me tombent, vénéré Monseigneur et Père, et j'arrête là la présente tant je suis bouleversé."

Dans le courrier suivant du 2 mars, Neveu raconte dans le détail tout ce qu'il a pu apprendre sur ce qu'il appelle le progrom des catholiques. On en voulait indistinctement aux catholiques latins et aux catholiques de rite oriental. L'abbé Loupinovitch, curé de la paroisse Saints-Pierre-et-Paul, a été arrêté. Arrêtés également les tertiaires de saint François, leurs amis et connaissances. E la paroisse de l'Immaculée Conception il y eut perquisition au presbytère, mais on n'y a pas trouvé le curé, l'abbé Tsakoul. Par contre tout un groupe de paroissiens sont sous les verrous, entre autres entre autres deux anciennes servantes de la Mission pontificale qui, après Interrogatoire, ont d'ailleurs été relâchées. Mais on en voulait surtout au groupe des catholiques de rite oriental. (3)

(3) Il y eut aussi cette nuit des arrestations parmi les orthodoxes, tikhoniens ou philo-catholiques : l'archevêque de Zvénigorod qui avait écrit secrètement à Rome qu'il y avait bel et bien des persécutions en Russie : le professeur Ratchinski, ami de Vladimir Soloviev et l'un des traducteurs en russe de son ouvrage La Russie et l'Eglise universelle : l'académicien Lazarev, éminent byzantinologue : l'avocat Kouznetsov. 
La soeur Hyacinthe, dans le monde Anna Zolkina, est l'unique tertiaire régulière qui n'eût pas encore été prise. Pendant la perquisition, on a pris des papiers des autres soeurs, pas mal de manuscrits, principalement des traductions de livres ascétiques ; les sbires ont déclaré avant de l'emmener, en présence de la petite Catherine Alexandrovna, que toute la bibliothèque serait confisquée. Arrêtée, : Mlle Sapojnikova, tertiaire séculière dominicaine. Juive, convertie, professeur à l'Université (sa soeur, tertiaire régulière, est depuis longtemps à Solovki). Arrêtée : Mme Novitskaïa, femme du Père Novitski (à Solovki), lequel devait être bientôt échangée, à ce qu'espérait sa femme, et autorisé à se rendre en Pologne; elle aussi est tertiaire dominicaine; Arrêtées : deux autres juives converties du Père Serge ; une, toute jeune encore, Anna Roubachova, âme parfaitement innocente et toute au Bon Dieu : une autre demoiselle plus âgée, appelée Victoria Lvovna (j'ai oublié son nom de famille), récemment convertie, d'une famille de Kiev, anciennement riche, très ardente et intelligente; Arrêtée : Mlle Catherine Malinovskaïa, apparentée à la famille sacerdotale des Arseniev de Moscou. Excellente personne, déjà âgée et très malade, également convertie du Père Serge. Toutes ces personnes, fait à remarquer fréquentaient l'église saint-Louis.
Chez le Père Serge Soloviev, a pris tous ses manuscrits, et il y en avait beaucoup mais sa fillette n'a pas pu les spécifier, peut-être qu'on a saisi aussi ceux de l'oncle Vladimir... On a pris aussi le calice et l'ornement, dont il se servait chez lui pour dire la messe. Le brave Père, avait déjeuné avec moi le vendredi 13, deux jours avant son arrestation : il m'avait demandé 50 roubles, car il était sans argent,, ses fillettes étaient venues le voir et lui avaient occasionné des dépenses. L'un d'elles, l'aînée, qui avait environ 18 ans, se trouvait présente à la perquisition."
Neveu mit plusieurs semaines à savoir où était détenu le Père Serge Soloviev, de même que le Père Alexandre Vassiliev également arrêté Dès le 8 juin 1931, Neveu eut connaissance de la mort, à la prison de Boutyrki de Victoria Lvovna Bourvasser,. "C'était une juive convertie du Père Serge. Personne très intelligente, possédant les langue,, fille de gros commerçants de Kiev, enfant gâtée de ses parents, elle avait versé dans l'athéisme militant. C'est de là que le Bon Dieu la retira pour en faire une chrétienne, humble, fervente, communiant chaque jour avec larmes, désirant souffrir pour réparer ses erreurs et témoigner son amour à Notre Seigneur. Le bon Dieu lui a donné la grâce de mourir pour la foi. Je fus averti par une dame russe, sortie de prison et qui se trouvait dans la même cellule que la défunte avec un autre catholique qui me pria de célébrer la messe des morts. On laissa la malade souffrir atrocement en cellule et quand on voulut la conduire à l'infirmerie, il étai trop tard, elle mourut dans les corridors. Le corps n'a pas été rendu à sa mère."
  Dans un lettre du 6 juillet 1931, Neveu compléta la liste des prisonnières. " A la prison de Boutyrki, une petite juive convertie, Anna Boubachkova, qui ne dort jamais presque, étonne toutes ses compagnes de captivité, par son esprit d'oraison, elle prie jour et nuit, et par son courage.  Une autre juive, Mlle Sapojnikova ( sa soeur, dominicaine, est à Solovki) est également un modèle de force, tandis qu'en liberté elle était plutôt paresseuse ; la grâce est mesurée aux nécessités. Il y a aussi à Boutyrki une demoiselle russe convertie, Loudmilla Nikolaïevna Polibina, dont j'ai oublié de vous parler, qui fait l'édification de ses compagnes. Elle rêvait d'aller dans un noviciat En Allemagne et correspondait avec un père bénédictin allemand. Le Bon Dieu lui fait faire un noviciat autrement rude. Aucune nouvelle de Mme Novitskaïa, dont le mari, le Père Novitski est à Solovki.
 

Aveux du Père Vassiliev et du Père Serge.

Parmi les prisonniers, il y avait un prêtre de rite oriental particulièrement cher à Mgr Neveu, le Père Alexandre Vassiliev. Neveu, qui a été pendant vingt ans, de 1906 à 1926, curé de de Makievka, dans le bassin du Donetz, s'y est fait beaucoup d'ami catholiques et orthodoxes, parmi ces derniers, il y avait le Père Paul, curé d'Enakievo. Le fils de ce dernier, Alexandre Pavlovitch Vassiliev, fut formé au monastère Petrovski et ordonné prêtre par Mgr Barthélémy le 1er octobre 1927. Chargé de l'église de la Transfiguration au-delà de la Moskova, il fit acte d'union à l'Eglise catholique le 24 décembre 1928 entre les mains de Mgr Neveu. Comme prêtre orthodoxe il était marié et eut bientôt une petite fille Zoé. Quand l'église de la Transfiguration fut fermée, il desservait l'église de Saint-Nikita au-delà de la Moskova et quand celle-ci fut transformée en entrepôt de pommes de terre en 1929, sa femme Nadejda Silvestrona Vassilieva, leur enfant et lui-même se trouvèrent dans la rue. Les gens n'osent plus louer à des prêtres, qui sont interdits de séjour à Moscou.

Après quelques temps, l'archevêque Pitirim, chargé du diocèse de Moscou, lui trouva une église à Krylatskoe, près de Kountsevo rendu illustre par la datcha secrète de Staline (4)

(4) Kountsevo et Krylatskoe sont aujourd'hui intégrés à la banlieue ouest de Moscou et constituent un lieu de promenade privilégié pour les Moscovites, en été, à cause des plages de la Moskova, en hiver, à cause des équipements de ski.
 
A l'époque de la dékoulikakisation, 1929-1930, les paysans de Krylatskoe opposèrent une vive résistance, au point de tuer plusieurs responsables communistes. Les autorités rendirent responsable le Père Vassiliev, leur curé. On lit dans son acte : "Le prêtre Vassiliev A.P, le 25 octobre 1930, au cours de l'office de nuit, a fait une prédication, dans laquelle, s'adressant aux citoyens, il a dit : "Si maintenant on vous opprime, mes chers fidèles, ce ne sera pas pour longtemps. Supportez-le et priez la Reine du Ciel et elle vous aidera et vous libérera du joug qui vous opprime. 
Entre temps était née leur deuxième fille, qui reçut le nom de Thérèse-Eugénie, en raison de la dévotion à Sainte Thérèse de Lisieux, à laquelle Pie XI avait consacré la Russie ; et Eugénie, par vénération, par vénération pour Pie-Eugène neveu. On imagine les pressions que le jeune Père Vassiliev devait subir en raison des menaces qu'on faisait peser sur sa femme et ses deux fillettes. Dans son dossier, on trouve cette déclaration, dont les termes mêmes montrent qu'elle a été forcée ou extorquée: " : J'estime que le pouvoir des Soviets, en la personne des organes de l'Oguépéou a bien fait de m'arrêter, car cette arrestation m'a donné la possibilité sans doute la première fois dans ma vie, de me retrouver avec moi-même et d'apprécier ma vie et mes actions. Je me pose cette première question : dans cette lutte titanesque d'une minorité de riches, de repus et de parasites et d'une majorité énorme de gens écrasés, ayant tout juste des mains pour gagner leur pain, où me situer contre qui me placer? Ainsi posée la question est résolue. Je ne désire pas être fumier, chair à canon, ce que voudraient faire de moi les bourgeois étrangers"
L'idéologie marxiste de cette "confession", en montre l'origine. Les sentiments du Père Vassiliev étaient tout autres, la suite le montrera.
Sur le Père Serge Soloviev le Guépéou faisait circuler la rumeur du ralliement : "Le Guépéou, écrit Neveu, continue sa méthode de mensonge et de calomnie. Voici deux détails concernant le Père Serge Soloviev. A un pope russe convoqué pour recevoir une "mission", il fut dit pendant la conversation, qui concerna un instant le Père Serge : "Depuis qu'il est chez nous, ses idées ont bien changé. " A une Dame qui avait affaire aussi au Guépéou, i fut dit : "Ne vous imaginez pas ce que nous avons trouvé Chez Soloviev : "des vers pornographiques, des chansons légères, qu'il composait. Au reste, il réunissait chez lui des femmes pour faire des orgies avec elles."
Il est bien vrai que le Père Serge Solovief recevait chez lui des jeunes femmes. C'était des étudiantes d'université, juives la plupart qu'il avait converties Quant aux vers pornographiques, le Père Serge a publié dans sa jeunesse plusieurs recueils de poésies, dont certaines avaient un parfum d'érotisme . (5)
(5) Fleurs et encens, (1907, 225 p) Crurifragium (éd. Association) Avril deuxième livre de vers ( éd. Le Musagète, 1910), (173 p.) Le parterre de la Reine troisième livre (éd. Le Musagète 1913, 157 p.) Retour à la maison paternelle, quatrième livre (éd. Kouchner, sd. 188 p.) Italie poème typographique V.I. Voronov 1914, 24 p.)Dans sa jeunesse également, il s'est passionné pour Isidora Duncan, et ses tournées de danse à Moscou. En janvier 1905, il avait publié dans la presse il avait publié dans la presse des articles élogieux et novateurs : "la danse est l'art suprême qui révèle la beauté de la femme et le corps spiritualisé."
 
D'autre part, le Père Soloviev a publié les poésies de son oncle, Vladimir Soloviev, parmi lesquelles ont peut effectivement trouver des vers érotiques et il est fort probable que ces manuscrits aient été  gardés  par-devers lui.
 
Sur le changement que le Guépéou réussit à opérer dans l'esprit du du Père Serge, nous avons un document écrit de sa main, dont voici le texte manuscrit ou plutôt une des trois versions : "Moi, Soloviev Serge Mikhaïlovitch, vice-exarque de l'Eglise orientale en URSS, ne désire plus avoir aucun des liens avec les curés catholiques polonais, car leur activité est dirigée, sous couvert de religion, contre l'URSS, c'est-à-dire contre la construction du socialisme en URSS.. En outre, je ne désire plus avoir de liens avec l'évêque Neveu, sujet étranger, car l'évêque Neveu, que j'ai toujours respecté et estimé comme homme d'une vie spirituelle élevée, joue également un rôle évident de représentant de la bourgeoisie française. 
Restant celui que j'ai été jusqu'à présent, je regrette profondément les nombreuses activités absolument inutiles au plan religieux, les entretiens politiques dans une aura de romantisme contre-révolutionnaire, dont je me suis rendu coupable. Que tout cela serve à alléger le sort de mes enfants spirituels et selon la chair et notre activité réciproque."
Le procès fut relativement court, puisque le, dès le 1er août, fut arrêté la conclusion de l'enquête, reproduite ici intégralement et d'après les archives du Guépéou.
 

Conclusion de l'accusation

"Le 1er août 1931, moi, accusateur plénipotentiaire de la première section de l'Oguépéou, Tselmerovski V.M. Après avoir examiné l'enquête de l'affaire n° 107338, concernant l'accusation des citoyens

1. Soloviev Sergueï Mikhïlovitch,

2. Vassssiliev Alexandre Pavvlovitch

3. Zolkina, Anna Inavovna,

5  Novitskaïa Anatolia Ivanovna

6 Gardner Claudia Matveevna,

7. Roubachova Nora Nikoaevna

8. Sapojnikova Vera Arkadevna

9. Malinovskaïa Ekaterina Antonovna,

10. Bourvasser Viktoria Lvovna

A Etabli

En 1923 a été liquidée par l'Oguépéou une organisation contre-révolutionnaire d'espionnage, appelée la "Communauté Abrikossov", fondée par Abrikossov, lequel fut expulsé à l'étranger en raison de son activité contre-révolutionnaire en même temps que Berdiaev, Iline et d'autres. Cette communauté se livrait à une activité contre-révolutionnaire et d'espionnage : elle était en outre étroitement liée avec les ambassades étrangères, ainsi qu'avec l'archevêque condamné Cieplak, avec l'espion qui a été fusillé, l'abbé Boudkievitch et avec l'exarque Fedorov et d'autres.

Après la liquidation de cette organisation, Soloviev Serguieï Matveevitch, après avoir été nommé par le pape Pie XI, vice-exarque du groupe dit des catholiques orientaux, avec le reste des "orientaux" Zolkina, Sapojnikova, Novitskaïa Gardner, passa en 1923, à l'organisation du groupe illégal des catholiques orientaux, dont firent partie les personnes ci-dessus nommées. Ce groupe se composa exclusivement d'anciens nobles ou d'anciens bourgeois, aux dispositions hostiles envers le pouvoir des Soviets. Le groupe était relié par l'intermédiaire de l'évêque Neveu, convaincu d'activité d'espionnage et de sabotage dans le bassin du Donetz, et également par l'intermédiaire des ambassades de France et d'Italie, à Rome et à Pie XI, dont il recevait directives, argent et littérature pour son activité.

La majorité des membres du groupe organisèrent un ordre monastique illégal de Saint Dominique. Les membres de ce groupuscule se réunissaient en différents appartements, avaient des entretiens antisoviétiques sur les questions politiques et économiques. menaient avec leur connaissance un agitation contre-révolutionnaire, dont l'un des motifs était la soi-disant persécution religieuse par le pouvoir des Soviets.; ils organisaient le secours matériel illégal aux prisonniers des îles Solovki, en vue de la contre-révolution et de l'espionnage. Ils diffusaient de la littérature contre-révolutionnaire reçue de l'étranger à travers l'ambassade. La plupart d'entre eux étaient liés avec l'évêque Neveu, auquel ils donnaient  toute sortes d'information sur la situation à Solovki. Quelques uns des membres de ce groupe n'ont pas caché, au cours de l'enquête, leur attitude hostile envers le pouvoir des Soviets, affirmant que la structure sociale en URSS n'est qu'une tentative vaine; qu'ils étaient en désaccord avec la politique de classe du pouvoir des Soviets. Dans son hostilité croissante, le groupe à examiner les questions de l'intervention étrangère contre l'URSS. Le chef du groupe, Soloviev, reconnaît qu'il estimait souhaitable l'intervention des pays capitalistes contre l'URSS, sentiment qu'il manifesta aux membres de son groupe, allant jusqu'à appeler au renversement armé du pouvoir des Soviets.

Concrètement, l'enquête, par rapport aux membres en particulier du groupe a établi:

1

. Soloviev Serguieï Mikhaïlovtich est le principal organisateur et inspirateur de toute le groupe. Il a dirigé les réunions illégales du groupe, mené les conversations antisoviétiques, appelé à l'insurrection armée contre le pouvoir des Soviets. Pour l'agitation contre-révolutionnaire, il se servait de prédications à l'église, diffusait de la littérature eurasienne (mouvement répandu dans l'émigration russe des années 30, qui préconisait le rattachement idéologique de la Russie à l'Asie). Il dirigea l'organisation du secours matériel aux prisonniers de Solovki, recevant systématiquement et pendant plusieurs années de Neveu,à partir de sources étrangères, d'importantes sommes d'argent pour cette activité. Comme il avait de nombreuses connaissances parmi l'intelligentsia russe, il informait à travers Neveu, les cercles hostiles à l'URSS, écrivait pour Rome au pape Pie XI des rapports des rapports qu'il envoyait par Neveu et les ambassades étrangères et par ces mêmes voies, illégales il recevait les directives et le titre de vice-exarque.

Par l'une de ses principales actions dirigées contre le pouvoir des Soviets, Soloviev estima possible l'union entre le catholicisme et l'orthodoxie. Pour cela, en 1928, en réponse à la déclaration publiée par le Métropolite Serge dans laquelle se faisaient entendre des motifs condamnant la contre-révolution et en faveur du pouvoir des Soviets, lui, Soloviev, a composé un appel au groupe des plus conservateurs du clergé orthodoxe, à savoir les "josifliens", les appelant à l'union avec Rome, car il escomptait que l'attitude hostile de Rome et des  "josifliens" contre le pouvoir des Soviets pourrait les unir dans la lutte commune contre ce pouvoir.

A l'époque du voyage secret de l'évêque d'Herbigny, venu de Rome pour la réorganisation de l'Eglise catholique en URSS, Soloviev l'a rencontré à plusieurs reprises pour l'informer des questions qui l'intéressaient. Soloviev était étroitement lié avec le prisonnier de Solovki, Przyrembel (6)

(6) Stanislav Przymbel, né en 1867, gouvernement de Polotsk, prêtre en 1893, arrêté le 9 octobre 1929, condamné à dix ans de Solovki. Echangé vers la Pologne le 15 septembre 1932.
et autres, ainsi qu'avec les curés Tsakoul et Loupinovitch, arrêtés à Moscou pour contre-révolution et espionnage. Tsakoul, au cours de l'enquête, a d'ailleurs montré que Soloviev était le principal informateur de Neveu, ce qui est confirmé par le caractère secret des entretiens de Neveu avec Soloviev.
 
2. Vassiliev Alexandre Pavlovitch, ancien prêtre orthodoxe, est devenu catholique secret. Il jouissait de la confiance particulière de l'évêque Neveu, qui se confessait à lui. Il recut de Neveu de la littérature contre-révolutionnaire, qu'il diffusait parmi ses connaissances. Vu qu'il était au courant des affaires de l'Eglise orthodoxe et avait un large cercle de connaissances, il informait Neveu des luttes au sein de l'Eglise orthodoxe. Etant prêtre du village sous Moscou (Kryllatskoe), il faisait de l'agitation contre le collectivisme et autres initiatives du pouvoir des Soviets.
 
3. Zolkina Anna Ivanovna, membre actif du groupe, moniale, collaboratrice non non officielle de la Croix-Rouge polonaise, était étroitement liée avec Soloviev et Neveu, qu'elle visitait dans son appartement et dont elle recevait personnellement de l'argent pour elle et pour l'organisation des secours aux prisonniers de Solovki. Se livrant à l'agitation contre-révolutionnaire, elle diffusa de la littérature contre-révolutionnaire et cachait chez elle, dans son appartement, la bilbliothèque antisoviétique précédemment formée par Abrikossov.   Elle cachait chez elle le matériel contre révolutionnaire et d'espionnage, ainsi que les documents personnels des catholiques orientaux arrêtés.
 
4. Novinskaïa Anatolia Ivanovna, membre actif du groupe, moniale (ce qui est manifestement faux, puisqu'elle est la femme du Père Donat Novitski - mais était tertiaire séculaire)), était étroitement liée avec Soloviev et Neveu pour l'organisation des secours aux prisonniers de Solovki, où elle reçut des informations qu'elle a transmises à Neveu,. De Neveu également, elle a reçu de la littérature contre-révolutionnaire. Elle a également été liée avec le curé Tsakoul, arrêté et convaincu d'espionnage, qui lui avait aussi donné des instructions pour Solovki. Elle s'occupait enfin d'agitation contre-révolutionnaire.
 
5. Polibina Lioudmilla Nikoaevna, membre actif du groupe, essaya de franchir illégalement la frontière, où elle fut arrêtée. Etroitement liée avec l'évêque Neveu et Solviev, elle était en lien à Tiflis avec le Consulat allemand et se comporta d'une manière extrêmement hostile à l'égard du pouvoir des Soviets, ce qu'elle n'a pas caché au cours de l'enquête. Elle s'est occupée d'agitation contre-révolutionnaire.
 
6. Gardner Claudia Matveevna, tertiaire fanatique, membre actif de la communauté, moniale, étroitement liée à l'exarque Feodorov, prisonnier à Solovki, à Soloviev, à Loupinovitch. Organisatrice active du secours aux prisonniers, elle remplissait les fonctions de trésorière de la communauté. Etroitement liée à Neveu, elle fréquentait son appartement.  
 
7. Roubachova Nora Nikolaievna, tertiaire fanatique, membre actif de la communauté, étroitement liée à Neveu et à Soloviev, s'occupait d'agitation contre-révolutionnaire. Elle reçut de la littérature contre-révolutionnaire, mais a refusé de dire à l'enquête de qui elle le recevait et à qui elle le distribuait. Au cours de l'interrogatoire, elle a positivement  déclaré qu'elle était contre la construction du socialisme en URSS et contre le pouvoir des Soviets.
 
8. Sapojnikova Vera Arkadevna, catholique orientale depuis 1912, éducatrice de Roubachova qu'elle a amené au catholicisme. Grâce à son stage et à sa formation, elle a terminé deux facultés d'enseignement supérieur et se trouve être l'inspiratrice idéologique de la communauté.
 
9. Malinovskaïa Ekaterina Antonovna membre de la communauté, dans l'appartement de laquelle Soloviev a célébré la liturgie ; elle fournissait à la communauté de l'argent et conservait dans son appartement de la littérature contre-révolutionnaire.
 
10. Bourvasser Victoria Lvovna, membre de la communauté, étroitement liée à Soloviev et à Neveu, gardait chez elle les affaire de Soloviev Elle est morte en prison. 

Propose

Selon la forme convenue, furent condamnés : Vassiliev à dix ans de camp de concentration ; Soloviev à la même peine, mais vu son état de santé, sa peine est commuée en dix ans d'exil au Kazakhstan ; Roubachova et Sapojnikova sont condamnées à cinq ans de camp de concentration, Zolkina, Nivitskaïa et Polibina à trois ans de camp de concentration ; Gardner et Malinovskaïa à trois ans de déportation en Sibérie orientale.

Réflexions sur le jugement.

Les actions reprochées aux condamnés sont tous à leur honneur et méritent notre admiration. Porter secours aux prisonniers est une oeuvre de miséricorde particulièrement chère aux âmes russes. Les crimes reprochés au Père Soloviev, dans l'acte d'accusation relèvent de son ministère auprès des jeunes et de l'intelligentsia universitaire. Méritent une explication a) son appel aux josifliens et b) son propos sur l'intervention.

a) Appel aux josifliens : La déclaration de loyalisme envers le pouvoir soviétique signée par le Métropolite Serge le 29 juillet 1927, parut à beaucoup d'évêques orthodoxes tellement excessive, qu'elle semblait placer l'Eglise sous l'autorité de l'Etat. Les plus saints des évêques et les plus intégristes, le groupe de Iaroslavl et le groupe de Leningrad, d'autres encore comme Cyrille de Kazan, Maxime de Serpoukhov, rejetèrent la déclaration de Serge et se rangèrent autour du Métropolite Joseph (Petrovych) de Léningrad. D'où le nom de josifliens donné à ses partisans.

Le Père Serge, pensant faire un front commun, rédigea un appel à ces évêques. Sur cette initiative d'un zèle intempestif et dangereux, Neveu nous informe en détail dans la lettre du 19 mars 1928.

"le Père Serge Soloviev nous en a fait une bonne ... Constatant qu'un certain nombre de prêtres refusent de prier pur les bolcheviques dans leurs églises, il conçut la pensée de leur envoyer un appel à l'union avec l'Eglise catholique. M'annonçant son projet, il me dit : "j'e l'apporterai à votre approbation." Une semaine environ après cette conversation, mon Père Serge m'apporte tout un paquet de tracts écrits à la machine. " Mon cher Père, tout ce que vous dites est vrai, mais il m'est impossible d'approuver la diffusion de ce tract. D'abord vous l'intitulez "Appel à l'Eglise catholique etc. Mais ni vous ni moi n'avons le droit de parler au nom de l'Eglise catholique dans un appel destiné à paraître sans signature ; ce serait accuser l'Eglise catholique de fausseté et de duplicité. En second lieu, vous signalez trop ouvertement les persécutions auxquelles les orthodoxes tikhoniens sont en butte comme les catholiques; ce papier serait porté immédiatement au Guépéou et servirait à faire de nouvelles arrestations; on ne parle pas de corde dans la maison des pendus. Enfin, cet appel de l'Eglise catholique se termine par une invitation à prier pour les saints de Russie et en particulier Serge de Radonège et Séraphim de Sarov, que l'Eglise catholique n'a pas encore canonisés. Votre travail est à refondre sous une autre forme et en attendant, pour que vous ne soyez pas arrêtés, je prends le tout et je le mets au feu. "

Serge en tomba d'accord : "L'abbé Tsakoul, dit-il, à qui j'avais montré mon brouillon, m'avait dit : "Père Serge, dites-moi si je dois prendre un billet de quai pour vous accompagner au train qui vous emmènera à Solovki." Je m'en remets à vous Monseigneur. Brûlez ces exemplaires. Cependant j'en voudrais au moins deux pour ne pas perdre les citations que je fais : ensuite,  je les brûlerai. Je consentis pour ne pas trop contrister le brave homme, mais après avoir eu soin de lui faire rayer au crayon chimique les mots " Appel de l'Eglise catholique". Parti de chez moi, le Père Serge se rendit chez une personne orthodoxe très sérieuse et toute prête à embrasser le catholicisme et il y laissa un des deux exemplaires sauvés de son autodafé.

Ce soir-là, une cousine de Mme Armand (femme du consul de France) se trouvait chez ladite dame et devait passer la nuit chez elle. Au moment de se coucher, elle se dirent ce que chacun se dit en Russie : "Et si le Guépéou arrivait cette nuit." Elles prirent donc le papier, le cachèrent sous le linoléum du plancher, près d'un petit tas de bois de chauffage et se couchèrent. Une demi-heure se passe : on frappe violemment à la porte; c'était justement le Guépéou, venu pour perquisitionner chez cette personne orthodoxe dont le nom avait été trouvé dans une liste de gens accusés de menées monarchistes. Tout alla bien d'abord et l'un des commissaires téléphona à la Loubianka : "Ici, nous n'avons rien trouvé concernant l'affaire". C'est à croire que le diable s'en mêla : ce même commissaire remarqua que le linoléum ne paraissait pas solide. Il le souleva e trouva ce qui était caché. Immédiatement e tout joyeux, il retéléphona : " A vsiotaki nachli interesneïchi dokoumentik" (nous avons pourtant trouvé un très intéressant petit document.) Les deux femmes furent arrêtées et mises au secret. Mlle Armand fut vite délivrée, mais l'autre personne est toujours en prison. Cette dernière a-t-elle eu le courage de ne pas révéler qui avait apporté le papier ? Nous ne savons, mais le fait est que le Père Serge, prévenu de ce qui s'était passé et s'attendant à être arrêté d'une heure à l'autre est toujours en liberté depuis plus de deux semaines que ces faits se sont passés."

b) L'intervention étrangère : dans l'interrogatoire du Père Serge Soloviev, on trouve cette déclaration, d'ailleurs ambiguë : Je n'appartiens pas aux partisans de Tolstoï ( de la non violence) et dans mes conversations j'ai montré à ceux qui étaient de mon sentiment que le Christ a apporté sur terre, non seulement la paix, mais aussi le glaive. L'un des moyens de sortir de la grave situation de l'Eglise en URSS me semble être l'intervention, au sujet de laquelle je me suis entretenu avec mes amis, bien que j'ai toujours pensé que l'intervention est liée à un grand mal et peut servir des intérêts qui ne sont pas purement religieux, intérêts d'une toute autre nature, comme l'envie ou la haine des classes qui ont embrassé la révolution. Ce qui abaisse la pureté des motifs religieux."

De son côté Tsakoul, dans ses interrogatoires, accuse Neveu d'avoir soutenu l'idée de l'intervention, dont la France prendrait la tête. Sans doute Neveu, pourtant sus ses gardes, n'aura-t-il pas été assez prudent. En février 1931 par exemple,  il semble souhaiter l'intervention : "Les Etats chrétiens et catholiques ne se rappelleront-ils pas une bonne fois que Pie IX, a condamné dans Syllabus, la proposition "proclamandum et observandum principium quod vocant de non interfventu (Il faut proclamer et pratiquer le principe de non-intervention - proposition condamnée.)

Neveu et les victimes du procès. Le sort du Père Serge Soloviev.

 La conclusion de l'accusation étant du 1er août 1931 et la décision du tribunal du 18 août 1931, Neveu a été en mesure, dès le 27 août, de connaître le sort des condamnés. Le 31 août il écrit à Mgr d'Herbigny : 

Quelle semaine je viens de passer ... Mardi matin, jour de saint Louis, tandis que j'étais au confessionnal, j'aperçois la silhouette décharnée de Mlle Malinovskaïa, arrêtée le 16 février dernier. L'instant d'après la brave personne me déclara : " A 3 h du matin aujourd'hui, l'on m'a fait sortir de Boutyrki, en compagnie du Père Serge. A la sortie de la prison, alors qu'il n'y avait plus de tramway, il se trouva un jeune homme qui prit nos paquets, que nous étions incapables de porter et qui nous conduisit prendre un fiacre. Le Père Serge déraisonne totalement : on dirait un petit enfant. Il est en outre très malade et on l'envoie pour dix ans à Alma-Ata, du côté de l'Afganistan Quant à moi, je dois aller à 2 h après-midi au Guépéou pour apprendre ma destination : je suis très heureuse d'avoir pu venir au moins me confesser et vous dire adieu, mais hélas, je ne pourrai pas communier. Ce matin, en arrivant chez moi, j'étais si faible, que les voisins, m'ont fait boire du thé. - "Vous êtes malade : il peut se faire qu'on vous ordonne de partir ce soir ou cette nuit ; communiez, Mademoiselle, l'Eglise accorde des dispenses aux infirmes et à ceux qui se trouvent dans des conditions aussi extraordinaires " - "Que je suis heureuse."

La messe dite, je priai une personne liée avec les amis du Père Serge de prévenir ceux-ci, afin de ne pas abandonner à lui-même le pauvre Père. L'après-midi, cette même personne vint me dire que deux dames amies du Père se relayaient auprès de lui, que le Père devait se mettre en route vendredi 28, et qu'on allait faire des démarches pour le faire entrer dans une maison de santé ou pour au moins obtenir un sursis à son départ. Depuis ce mardi, j'appris encore les détails suivants : le Père déraisonne comme un petit enfant, il est maigre à faire peur, il a les yeux hagards, tremble au moindre bruit dans le corridor et dit : "Ils vont venir avec des baïonnettes pour m'arrêter". Il déclara qu'il ne voulait pas que l'on fît venir ses filles et qu'il ne voulait pas me voir. Comme ces paroles étonnaient la dame, qui savait combien le Père Serge m'aimait : "Oui, ils m'ont épouvanté tout le temps à propos de monseigneur ; ils m'ont dit qu'ils l'avaient déjà fusillé et que mes filles étaient arrêtées. Non, non, je ne puis le voir. Tout au plus, j'irai à Saint-Louis de grand matin, je me confesserai et communierai comme un simple fidèle."

Il ne mange presque rien et il a l'estomac très fatigué. Il répète continuellement trois choses : "Croyez-vous que j'aie pu trahir Dieu?" - J'aime Dieu et je le prie - C'est égal, je mettrai fin à mes jours". Il faut vous dire, cher Seigneur, que la mère du Père Serge s'empoisonna le jour de la mort de son mari, que le Père a déjà été soigné dans une maison de santé à cause à cause des chagrins que sa femme lui causa, il y a donc l'hérédité et un mauvais précédent. La femme du Père Serge est venue ici quelques jours après l'arrestation de son mari et elle est repartie pour Balachov (gouv. de Tambov) d'où elle n'a plus plus donné de ses nouvelles... 

Créature ... Malgré son état, le pauvre Père eut la force de se lever une après-midi et de se rendre à la Croix-Rouge politique (Mme Pechkova), afin de demander un sursis ; dans la rue, il fut rencontré par hasard par des catholiques, qui remarquèrent qu'au lieu de chaussettes, il avait les pieds entourés de chiffons. Ses amis firent toutes les démarches auprès des médecins spéciaux et de la Croix-Rouge, tout a été en vain.

Samedi 29, l'infâme juge d'instruction qui avait martyrisé le pauvre Père en prison vint chez lui et cria : "Qu'est-ce que cette comédie que vous jouez? Vous faites de l'agitation, vous recevez des visites : je vais vous faire reconduire en prison et vous savez que votre compte sera vite fait. Le sviteïchei (l'évêque) est venu? (Il ne s'agit pas de moi, hélas) . Rappelez-vous que vous avez signé l'engagement de ne pas le voir, sinon... Partez d'ici le plus vite possible - "Il m'est difficile de partir seul - On propose d'accompagner le Père, fit la personne qui était là - Nous n'autorisons qu'une seule femme, c'est cette dame boiteuse de Sokolniki. *- Oui, je sais, il s'agit d'une dame russe catholique infirme elle-même. J'avais tout fait pour que le père exprimât le désir de me voir, je lui avais même fait dire que depuis son arrestation j'avais peine à me confesser. Il répétait toujours qu'il ne voulait pas me voir : à mon coeur défendant, je respectai sa consigne de peur d'éviter peut-être une crise ou une émotion trop vive." 

Le courrier suivant du 14 septembre 1931 nous informe sur l'évolution de l'état de santé du Père Serge et sur les décisions du Gépéou le concernant : 

Le samedi 5 septembre, dans la soirée, un argousin du Guépéou vint lui infirmer l'ordre de partir le jour-même pour Alma-Ata sous peine d'être réintégré à la Loubiancka, etc. Mes informations en étaient là. J'avais donné l'argent pour deux billets (250 roubles, 125 pour le retour du guide) et j'étais persuadé que le Père était déjà en route, lorsque je vous écrivais. C'est tout autre chose à présent. Ce samedi, ce fut impossible d'avoir des billets. Dans la matinée du dimanche, on en obtint deux et la personne qui les apportait au domicile du Père Serge ne fut pas plus surpris de retrouver là le même sbire, qui mit le pauvre homme en état d'arrestation et l'emmena au Guépéou. Les personnes dévouées au Père des démarches pour le faire entrer dans une maison de santé furent au désespoir et crièrent qu'elles eussent les choses aller suivant leur cours. L'une d'elles passa toute la journée du dimanche sur la place de la Loubianka, pleurant et se tordant les mains de désespoir, marchant de long en large en regardant si l'on ne ferait pas sortir le malheureux. Sur le soir, elle vit une automobile, où était assis le même argousin Le Père Serge et la cousine de ce dernier.

La cousine raconta qu'au Guépéou, le Père avait été soumis à une expertise et reconnu malade qu'il avait été emmené à la gare de Koursk, de là on l'avait conduit à la station de Stolbovaïa ( à 64 km de Moscou) De la station, un autre automobile les avait conduits à environ dix km, à une maison de santé du Guépéou (vous savez que beaucoup des collaborateurs de l'institution deviennent fous) et qu'en arrivant, le Père, voyant qu'on lui donnait une chambre à part, s'était écrié : "ici, je serai bien."

C'est donc là que se trouve le pauvre malade. La cousine et une autre personne ont été seules autorisées à lui faire visite et lui apporter des vivres (tout est bien dans la maison de santé, sauf le ravitaillement) A une première visite, le Père se plaignit de n'avoir pas d'appétit ni sommeil. Néanmoins, sous les yeux de la visiteuse, il mangea sans y faire attention presque un kilo de biscuits. Le médecin assura que le père dort mieux.  mais pas encore suffisamment. Voilà où en sont les choses le concernant. Dans ses conversations tandis qu'il était chez lui, il a tout de même dit : " J'ai trahi le monde, (Ia vskh vidai) Est-ce vrai? Se l'imagine-t-il? Dieu sait la vérité. Il est bien certain qu'on a employé contre cet infortuné tous les moyens de pression pour obtenir je ne sais quel aveux."

Le 21 novembre 1932, Neveu nous apprend que le Père Serge a été rendu à la famille : "il ne sort pas de sa chambre : il ne veut voir personne, il est très agité toute la nuit. "Une dernière mention de Neveu est du 1er juillet 1935 : " Ses deux filles ne le laissent approcher de personne et il est très difficile d'avoir de lui des nouvelles fréquentes et sûres.

Au lendemain de la guerre le Père Braun, curé de Saint Louis, apprit à Neveu la mort du Père. Il est mort le 2 mars 1942 à Kazan. Là se trouvait l'hôpital psychiatrique de la prison  du MVD. Qui nous dira ce que furent les dix dernières année du Père Serge Soloviev?

Le cas du Père Vassiliev.

L'autocritique manifestement imposée au Père Serge Vassiliev ne lui a pas épargné une condamnation. Sa femme avait reçu de lui, une carte disant : "Je suis relégué. Demande une entrevue; "Après une longue attente, Mme Vassilieva est conduite à l'intérieur de la prison, au parloir. Là, elle s'entend dire: "Vassiliev ne part pas. Vous n'aurez pas d'entrevue." D'autres parents de prisonniers, qui attendaient comme elle et qui voyaient son désespoir, la consolèrent en lui disant : " On ne le fusillera pas. C'est plutôt un bon signe."

La pauvre femme retourna tous les jours à la prison. Le samedi 17 septembre, elle put enfin voir son mari et vint aussitôt trouver Neveu tout émue : "Je viens de le voir." -  Racontez-nous cela" - Je suis venue à pied en courant presque comme une folle de la prison, ici (de Boutyrki à Saint-Louis, il y a bien deux km), permettez-mo de me remettre un instant?" L'entrevue à la prison dura vint minutes : pendant ce temps, malgré la surveillance, le petit Père fit savoir ce qui suit. "Je suis resté enfermé deux mois au Guépéou (La Loubianka). Matériellement, on y est mieux qu'ici (à Boutyrki), mais il y a toujours la crainte des interrogatoires. Pendant ces deux mois, j'ai été interrogé quatorze fois. Toutes les conversations ont roulé uniquement sur l'évêque. On m'a promis la liberté, si je voulais dire quelque chose pour le compromette. Je répondis que je n'avais rien à dire et qu'il était criminel d'accuser un innocent et de calomnier un homme juste : on me mit alors un revolver contre les tempes. Ce qui est sûr le psalomtchik - le chantre - de notre église de Krylatskoe est un mouchard du Guépéou : il rapportait ici nos sermons : préviens mon successeur d'avoir à se méfier de cet individu. Je na sais pourquoi l'on ne l'a pas renvoyé : je pense que c'est bon signe. On me donnera peut-être cinq ans au lieu de dix. En ce moment, on échange des prisonniers soviétiques contre des communistes étrangers : préviens de suite Monseigneur. Si je pouvais être envoyé hors de Russie ... Je te ferais venir avec les enfants. Dis à Monseigneur combien je le remercie de toute ses bontés.

"Dis-lui aussi que la soeur (dominicaine) Hyacinthe, Mlles Sapojnikova et Norotchka Roubachova, qui devaient parti en même temps que moi ont été retenues comme moi, que le Père Serge a perdu la tête, que Victoria Bourvasser est morte saintement, criant au milieu de ses douleurs qu'elle remerciait Dieu de l'avoir faite chrétienne. (Je dois vous dire, cher Monseigneur, que les prisonniers arrivent à se donner mutuellement des renseignements en écrivant au crayon sur les parois des w.c. Les surveillants ont beau effacer: les détenus sont plus malins qu'eux.) Je travaille à présent à l'atelier de cordonnerie. Je ne dors pas mal sur le plancher. Envoie-moi des bottes de feutre et un peu de tabac. Fais surtout bien prier pour moi; "Voilà l'essentiel de la conversation.

Catherine Malinovskaïa, qui, en raison de son âge - elle est née en 1876 - fut condamnée à une peine légère, trois ans de déportation en Sibérie orientale, raconta à Neveu le déroulement de son interrogatoire. "Son juge d'instruction lui ayant demandé : "Pur quel motif pensez-vous que nous vous avons arrêtée?" Mlle Malinovskaïa répondit : " C'est pare que je me suis faite catholique."  Le garçon se mit  dans une colère bleue : "Comment ? Vous voulez  nous faire croire que nous persécutons la religion?" C'est archifaux, c'est le bezbojnik (la revue des sans dieu) qui s'occupe de cela. Vous êtes accusée d'espionnage militaire; "Le comédien ...L'accusée ouvre de grands yeux. "Vous connaissez l'évêque Neveu? Où prend-il l'argent qu'il donne aux catholiques? - Je n'en sais rien. J'ignore, je l'ignore même s'il donne de l'argent, bien que je suppose que Monseigneur est très charitable. - Avouez -"Je n'en sais rien " - Je vais vous lire des extraits des dépositions de Soloviev. Le garçon tire un dossier et lit en bredouillant des bouts de phrase où il serait dit que l'évêque a donné tant  à celui-ci et tant à celui-là.  "J'ignore complètement ces personnes, je gagne ma vie à donner des leçons et personnellement je n'ai jamais reçu un kopek de Monseigneur : Il ne m'a jamais proposé d'argent, et je ne lui ai jamais rien demandé. Je lui dis mes péchés, il me donne ses conseils et c'est tout. " Malinovskaïa est morte en exil de tuberculose et c'est tout." Malinovskaïa est morte en exil de tuberculose sans doute à Irkoutsk.

Le procès des catholiques latins.

En même temps que l'on a arrêté, la nuit du 15 au 16 février 1931, des catholiques orientaux du groupe de Soloviev, on a perquisitionné chez les latins, Fut arrêté notamment le curé de Saints-Pierre-et-Paul, Karl Karlovitch Loupinovitch. Le curé de l'autre paroisses russe polonaise de l'Immaculée Conception, Mikhaïl Kristoforovitch Tsakoul, avait eu vent de la perquisition et avait quitté le presbytère cette nuit-là, mais il fut arrêté plus tard, le 14 avril.

L'enquête du groupe fut menée par le célèbre président du tribun al suprême militaire, V.V.Ulrich qui a présidé les grands procès de 1936, 1937, 1938, parce que dans le cas des Polonais, l'accusation était d'espionnage au profit de la Pologne. En fait cet espionnage consistait dans les contacts que les Polonais - encore que Tsekoul fut letton, né à Revel en 1885 -  avaient eus avec avec la représentation polonaise en URSS. Le chargé d'affaires, M. Palek, assistait régulièrement à la messe du dimanche à Saint-pierre-et-Paul et, à l'issue, allait saluer le curé à la sacristie.

L'un et l'autre prêtres furent accusés également d'avoir eu des rapports avec l'espion polonais Boudnitski, qui était venu à Moscou en 1927. Tsakoul fut accusé d'avoir formé des cercles illégaux de jeunes et d'étudiants de 1919 à 1923. Entre autres accusations qui lui furent faites, il reconnaît bien qu'il fut depuis 1929 collaborateur secret de l'Oguépéou, avoir caché son activité contre-révolutionnaire antérieure.

Le procureur Ulrich qui s'était réservé l'interrogatoire de l'abbé Tsakoul le questionna sur ce qu'il savait du groupe Soloviev. Le Père Soloviev, en effet, célébrait jusqu'à cette date dans l'église de l'Immaculée Conception. Tsakoul apprit à Ulrich qu'il existait des groupes de russes catholiques à Leningrad, Saratov et Kiev, qui avaient chacun leur prêtre. Le financement de la communauté des Russo-catholiques est entièrement entre les mains de Neveu qui reçoit l'argent de la Commission pontificale Pro Russia. Des ressources ont également été versées quand fonctionna (1921-1924) la Commission pontificale de secours à la famine en Russie.

L'activité contre-révolutionnaire et antisoviétique du groupe consiste principalement dans la diffusion de la prière "Russie souffrante" de la dévotion à Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus" et dans certains rites et prières pour le salut de la Russie, dont la zélatrice est une certaine Alexandrovna. La conviction essentielle du groupe est que le salut et la renaissance de la Russie se réaliseront seulement par l'Eglise catholique. Le secours des prisonniers, le travail parmi la population orthodoxe, financé par la Mission polonaise et par Neveu.

Tsakoul chargea le groupe Soloviev et l'évêque Neveu. "Neveu m'a dit s'agissant de Soloviev et de sa communauté, qu'il les finançait comme l'élément le plus  à même de soutenir la politique du Vatican. Il fit remarquer en particulier que, pour autant qu'on peut s'attendre à une intervention dirigée par la France, on trouvera parmi les catholiques de rite oriental, des cadres qui, après le renversement des bolcheviques , aideront le nouveau pouvoir et soutiendront une orientation française."

Loupinovitch, lui, s'est reconnu coupable d'avoir informé Neveu de sa collaboration avec l'Oguépéou, d'avoir également informé l'ambassade de Pologne des arrestations de prêtres d'origine polonaise et des dispositions de la population des paroisses russo-polonaises; d'avoir porté secours et assistances aux prisonniers. Grief non moins grave, il a attiré des enfants à l'église et les a éduqués dans un esprit antisoviétique. Il a pris une part active dans la formation de la chorale de son église, dans le même esprit. Dans ses prédications, il s'est efforcé d'inspirer à ses paroissiens des sentiments antisoviétiques. Enfin, il a favorisé l'inimitié nationale entre Polonais et Lituaniens.

En conséquence de quoi ;

1. Tsakoul Mikjaïl Kristoforovitch , 41 ans, letton, sans parti,célibataire, citoyen de l'URSS, trois fois arrêté, curé du quartier des Georgiens (l'Immaculée Conception), arrêté le 14 avril 1931, qui se trouve dans l'isolateur intérieur de la Loubianka

2. Loupinovitch Karl Karlovitch, 40 ans, Polonais, sans parti, célibataire, citoyen de l'URSS, deux fois arrêté pour soupçon d'espionnage, curé de l'église de la rue Markhïevski (église Saints Pierre-et-Paul, dans la rue aujourd'hui redevenue aujourd'hui Milioutinski), arrêté le 18 février 1931, gardé dans l'isolateur intérieur de la Loubianka

sont soumis à la décision de la conférence spéciale (l'OSSO)

Celle-ci condamna l'abbé Loupinovitch à trois ans d'exil au Kazakhstan. L'abbé Tsakoul qui était un collaborateur forcé du NKVD, fut envoyé pour trois ans à Tambov, mais dès 1933,  il fut autorisé à revenir à Moscou et à reprendre son poste. Il sera arrêté à nouveau le 3 mai 1937, pour avoir célébré lui qui était letton, une messe à l'occasion de la fête nationale polonaise. Il ne restera alors plus à Moscou que l'église Saint-Louis des Français. Comme Mgr Neveu avait dû quitter Moscou le 31 juillet 1936, le service religieux était assuré par le Père Léopold Braun, arrivé à Moscou le 1er mars 1934 pour le service des catholiques américains, en vertu des accords Roosevelt-Litvinov. Il pouvait certes s'appuyer sur le dévouement des dames Ott, mère et fille, mais il avait aussi pour conseiller celui qu'on appelait le professeur, Vassili Apollosovitch Baskarev, et dont il sera question plus loin.

En même temps que Loupinovitch et Tsakoul, fut arrêté un couple de catholiques, Servalis F.F. et sa femme, Annna Tyschman. Servalis passait, aux yeux du Guépéou, pour être la figure la plus représentative des deux paroisses catholiques russo-polonaises. Ami proche des évêques Ropp et Cieplak, il connaissait tout le clergé de Moscou. Servalis, selon l'accusation, a établi des liaisons avec la représentation diplomatique de Pologne et, en 1927, il eut de fréquents contacts avec Boudnitski, qu'il savait être un espion. Il nia personnellement toute activité d'espionnage mais fut suffisamment convaincu par les révélations de Tsakoul et de Loupinovitch. Arrêté,le 25 février 1931, âgé de 66 ans, il est mort durant l'enquête à l'intérieur de l'isolateur de Boutyrki, le 31 août 1931.

Le grief d'Anna Tyschmann, son épouse, tertiaire de saint François, est d'avoir été,pendant de longues années, gouvernante de nombreux curés polonais. Originaire de Dvinsk, elle a connu l'espion polonais Jan Bielopetrovski et fut en relation avec lui, quand il travaillait au consulat polonais. Elle fut condamnée comme le curé Loupinovitch à trois ans de déportation.

D'autres catholiques furent arrêtés et envoyés au Turkestan, sans autre forme de procès. "Un grand nombre de personnes (il y en a bien cinquante) qui avaient affaire de plus près avec le curé Loupinovitch, sont condamnés à la relégation et partent aujourd'hui, demain et après-demain. Dans le nombre la vieille domestique de l'abbé, la veuve Lapinska, âgée de plus de 70 ans, Agatha, ancienne domestique du doyen Zelinski, laquelle doit aller passer trois ans à Alma-Ata. Cette Agatha a été reconnue coupable d'avoir envoyé trop de paquets aux prêtres détenus et on lui a même dit : "Vous vous frottez constamment aux prêtres" . Le doyen Zelinski est transféré à Kotlas, le pauvre homme. Reléguée aussi une vieille fille, Catherine Narboutovitch, organisatrice des processions et chez nous aide-balayeuse de Saint-Louis. Ajoutez une Dame Radkievitch, accusée d'avoir été plusieurs fois au consulat de Pologne, la mère et la fille Petkievitch, envoyée à Penza pour s'être occupée du chant d'église, une autre vieille, la veuve Lomska, qui va à Tambov ; celle-là avait un caractère insupportable, diton et ne vivait qu'avec ses chats. De quel crime a-t-elle pu se rendre coupable? Toutes les autres, dont les noms ne me sont pas connus, demandent à se fixer à Koursk, Voronège ou dans des villes où le prêtre réside ou vient parfois accomplir le saint ministère. Cette lettre de Neveu du 14 septembre est un véritable martyrologe, car la fin de toutes ces personnes, condamnées pour leurs liens avec l'Eglise, sera la mort misérable dans leur exil ou de nouvelles arrestations. De l'abbé Tsakoul, auquel Neveu reprochait injustement, de ne pas voir régulièrement son évêque, et que nous-mêmes chargeons ici pour la vérité de l'histoire, dont l'heure est arrivée, nous voulons dire qu'après du 3 mai 1937, il fut condamné au châtiment suprême et fusillé. Son confrère Karol Karlovitch Loupinovitch, condamné le 18 novembre à trois ans d'exil au Kazakhstan, d'après des renseignements de l'ambassade de Pologne en URSS, est mort en 1937 près d'Alma Ata. D'après Neveu il s'était fixé à Semipalatinsk.

La persécution des orthodoxes.

Les catholiques étaient en Union soviétique une infime minorité, moins de 1% sur une population de 125 millions d'habitants, en 1925. Il faut donc multiplier par cent les arrestations, déportations et exécutions, dont furent victimes les orthodoxes, surtout ceux de l'Eglise patriarcale, et après le ralliement du métropolite Serge; le 29 juillet 1927, la fraction importante qui refusa de le suivre et qui s'appelle la Vraie Eglise orthodoxe, ou encore l'Eglise des des catacombes.

Neveu aidait les prisonniers abandonnés, envoyait des colis de vivre au professeur Popov, spécialiste de Saint Augustin, déporté à Solovki, puis dans l'Oural, au professeur archiprêtre Lebedev, professeur à l'académie ecclésiastique de Moscou, déporté à Semi-Palalatinsk (janvier 1933). Popov jouissait d'une grande estime chez les orthodoxes. Durant son temps de camp à Solovki, il fut l'inspirateur du célèbre mémorandum des évêques de 1926, texte qui reconnaissait la loyauté envers le Pouvoir soviétique, mais sans aliéner la liberté de l'Eglise.

Neveu aidait également les prêtres orthodoxes expulsés de Moscou à l'occasion de la "passportisation" de 1933, qui consista à chasser de Moscou 800.000 bouches à nourrir et 500.000 de Leningrad.

L'évêque parle avec admiration des orthodoxes arrêtés en 1931 et entassés dans la cour des Boutyrki, faute de place; "Les cruautés, les violences continuent tout comme l'an passé, sinon de plus belle. On avait amené à la prison de Boutyrki plusieurs centaines de religieuses, prêtres, moins et quelques et quelques évêques orthodoxes. Les détenus étaient dans la cour de la prison, attendant qu'on leur trouve une place quelconque à l'intérieur. Un évêque dit à ses compagnons ; " prions pour ceux qui nous persécutent." Et il entonna le chant de Pâques Khristos Vosskresse",repris par des centaines de voix. La garde d de la prison, que ce chant faisait endêver tira plusieurs coups de revolver, mais le chant continua.

Les religieuses furent réquisitionnées pour laver les corridors et escaliers de la prison ; elles s'acquittèrent de ce travail avec tant de soin que les geôliers ne purent s'empêcher de dire : "si nous voulons que la prison soit tant soit propre, il faudrait sans cesse arrêter de nouvelles religieuses". Ces pauvres moinesses russes donnent aussi de grands exemples de patience. Au moment où presque tout où presque tous les monastères se fermaient, un bon nombre d'entre elles se firent ouvrières de fabrique, pour gagner un morceau de pain. Toutes cachaient soigneusement leur passé monastique. Mais qui peut échapper aux épurations bolcheviques ? On fini par les découvrir presque toutes et alors  on les a chassées des syndicats professionnels, privées de leurs droits (et consequenter de pain) et on en a arrêté des masses pour manque de franchise dans les enquêtes et autobiographies que l'on doit souvent présenter aux autorités de tout genre " (Lettre du 19 janvier 1931).

Ailleurs, il décrit le sort cruel réservé aux moniales orthodoxes. "La bonne de Mme Ott a eu par des des connaissances communication d'une lettre écrite par une religieuse de l'ancien couvent Ivanovski monastyr de Moscou, à la Solianka, qui abritait en son temps plus de 200 soeurs. La révolution les dispersa mais les bolcheviques en  repérèrent un bon nombre, qui furent arrêtées et expédiées au Nord aux travaux forcés (légendaires.) dans un train pénitencier. Elles étaient une cinquantaine. Celle qui écrit des environs d'Arkhangel raconte que le train ne fut plus chauffé pendant plusieurs jours, que les religieuses restèrent sans nourriture pendant ce temps et qu'à un moment donné, en pleine steppe, le train stoppa et que les soldats de convoi s'écrièrent : " Descendez toutes, nous n'avons que faire de vous." Ces malheureuses, épuisées de faim et de froid, ne purent toutes gagner la localité la plus rapprochée et une vingtaine moururent gelées sur la neige." (Lettre du 2 mars 1931).

Après le procès des catholiques russes de rite oriental.

Pour des raisons inexpliquées, sans doute en vue de confrontations ultérieures, plusieurs des Russes catholiques condamnés en août 1931 furent gardées en prison. Neveu écrit dans sa lettre du 1er février 1932 :

"A la prison de Boutyrki, avec le petit père Vassiliev, que sa femme voit tous les dix jours (il va bien) sont encore détenues la soeur Hyacinthe, dominicaine (dans le monde : "Anna Zolkina), Mlle Sapojnikova et la petite Nora Roubacheva."

Le Père Vassiliev, à la prison de Boutyrki, partageait sa cellule avec l'archevêque orthodoxe Philippe, condamné à trois ans de détention dans un camp de concentration.

 

On lui a incriminé ses relations avec le Vatican - Il avait demandé pardon des déclarations de Serge sur la non-persécution; "L'archevêque a dit qu'il était content de souffrir pour cette cause et il prie le Père Alexandre Vassiliev de me faire parvenir l'expression de son respect avec ses salutations. Ce que la femme du Père (Naddjeda Silvestrina me communiqua aussitôt. L'archevêque ne recevait rien, mais il est bien vaillant." Le 30 décembre 1931 (dimanche)a fait savoir cette nouvelles aux orthodoxes.

En juillet 1932, Neveu écrit : "  A la prison de Boutyrki, les noms de la soeur Hyacinthe (Anna Zolkina), de Nora Roubacheva, de Mlle Sapojnika, de Loudmilla Polibina avaient été affichés parmi ceux des partants pour les camps de concentration. Hier, une personne qui était à la prison a eu la preuve que toutes ces catholiques sont encore ici. Un an et demi, et plus, de prison préventive. C'est à n'y rien comprendre. Par contre,on m'assure que Mme Novitskaïa (dont le mari prêtre est à Solovki)serait échangé bientôt à la frontière polonaise à l'occasion de la signature du pacte de non agression." Elle fut effectivement échangée, en même temps que son mari, détenu à Solovki, le 15 septembre 1932.

Le dernier à partir semble avoir été le Père Vassiliev, comme Neveu nous l'apprend dans sa lettre du 29 août 1932. " Le 16 août le petit Père Alexandre Vassiliev a quitté le prison de Boutyrki pour le camp de concentration de Medvejia Gora, au nord du lac Onéga. non loin  de Povieinets, sur la ligne de Mourmansk. Sa femme n'a pu savoir encore pour combien de temps, le Père est condamné. A ce même endroit, se trouve le Père Nicolas Alexazndrov, qui travaille comme ingénieur et dans des conditions relativement supportables; sa fille Katia vient justement de partir pour aller le voir. J'ai prié cette enfant de signaler à son père l'arrivée du Père Alexandre; à deux, on s'encourage d'avantage. On me dit que le climat de Medvejia Gora est sain. Le même jour, le 16 août, les femmes catholiques de Boutyrki ont été envoyées en déportation, mais, jusqu'à présent je n'ai pu savoir où oremus pro afflictis et captivis. (prions pour les affligés et prisonniers;)

Anna Zolkina avait été déportée au-delà du Cercle polaire. Dans la lettre du 13 mai 1933, Neveu donne des détails sur les interrogatoires : "Samedi 11 j'ai pu avoir des détails authentiques sur les interrogatoires que la soeur Hyacinthe (Anna Zolkina), dominicaine, eut à subir à Boutyrki, avant d'être expédiée au Narynsli Kraï. Une fois,, le juge d'instruction du Guépéou accompagné de tout un essaim d'élèves de l'école des juges d'instruction soumis au Guépéou, interrogea la soeur devant tous ces blancs-becs sinistres venus là pour prendre une leçon pratique : ils torturèrent la pauvre fille (25 ans) pendant si longtemps avec leurs questions concernant entre autre objet votre serviteur. Tania et Sophie (domestiques de Neveu) ces éhontés pourceaux se permirent des questions tellement infâmes que la pauvre soeur, personne très douce et tranquille, à peine rentrée dans sa cellule eut un épouvantable attaque de nerfs et pendant toute une heure poussa des cris horribles au point que le médecin et les surveillants, voyant les co-détenues de la soeur très ameutée, vinrent bâillonnner la pauvre malheureuse."  Anna Zolkina sera libérée du camp en juillet 1934. Elle s'établit à Elets, où elle fut à nouveau arrêtée en 1941 et condamnée à cinq ans de Goulag.

Parmi les catholiques arrêtés le 15/16 février 1931, il y avait, outre les dominicaines, des tertiaires franciscaines, davantage insérées dans le monde et dont le groupe ne fit pas l'objet d'un procès organisé comme celui des dominicaines de rite oriental. Il y avait parmi elles une demoiselle Nina Bykova. "Le 20 juillet , jour de son départ pour Alma Ata, elle vint à Saint-Louis pour communier et mes faire ses adieux. Je lui dis les prières de l'Itinéraire et lui lus l'évangile de saint Jean, car elle est malade. Je lui remis une aumône pour son voyage et les premiers jours de sa déportation; je pleurai avec elle, car tous ces départs me brisent le coeur, mais elle ne pleurait pas de faiblesse comme moi, car elle est très courageuse et, en me quittant, elle me remit une enveloppe en me disant : "Je vous prie de lire cela chez vous". C'est ce que je vous envoie. N'est-ce pas consolant de voir des sentiments pareils de foi et de force chrétienne. (Lettre de Neveu du 1er août 1932).

A Alma-Ata, elle trouve un petit travail, mais pas de prêtre pour lui donner la communion. Elle envoie à Neveu, en signe de reconnaissante affection, un brin de gypsophile, qui pousse là-bas dans la steppe. Mais dès le 24 octobre 1932, Neveu annonça la mort de la jeune déportée. "Nous avons encore une mort à déplorer parmi les détenus à cause de la foi ; c'est celle de la petite Nina Bykova (25 ans) survenue le 23 septembre à l'hôpital d'Alma-Ata. Il y a tout lieu de penser qu'elle est morte dans les mêmes sentiments qu'au jour de son départ, sentiment qu'elle avait encore exprimés au moment d'entrer à l'hôpital dans la dernière lettre que l'on ait reçue d'elle. Cette brave enfant, revenue de bien loin à la foi, puis convertie au catholicisme, avait su par sa piété et sa joie s'attacher le brave homme qui lui louait une petite chambrette de sa maison.

C'est lui qui a fait part de la mort et qui promet de venir à Moscou rapporter les pauvres hardes de Nina et de donner des détails sur sa mort. In paradisum déducant  eam angeli" Que les Anges la conduisent au paradis (liturgie des funérailles;)

Terminons ce chapitre par de brèves notices sur les autres condamnés du procès . Le sort final de I.N. Polibina et de C.M. Gardner N'est pas connu. Nora Roubachova, après ses cinq ans, rejoignit les dominicaines de Maloiarroslavets, où fut de nouveau arrêtée en 1949 et condamnée à quinze ans. V.A.Sapojnikova, après ses cinq ans de camp, fut libérée et s'établit à Podolsk, où elle est morte en 1943. Enfin,le Père Alexandre Vassiliev, condamné à dix ans, fut d'abord dirigé sur Medveja Gora,, au camp du canal mer Blanche Baltique. Muté à Oroulga près Tchita. Il n'était plus au nombre des vivants en 1944. Mémoire éternelle à nos martyrs et confesseurs de la foi.

Nous concluons ce chapitre par ces vers du Père Serge Soloviev qui résument parfaitement  la situation :

Toute la Russie n'est que souffrance

Gémissement du vent à travers les branches des bouleaux

Mais ces larmes et ce sang

Font croître l'attente

Ô Christ de ton Royaume.

 

2

Le chemin de croix d'Anna Abrikossova

Pérégrinations des prisonnières et des prisonniers. 

Dans les année 1925-1935, la justice soviétique, sans être humaine, observait assez strictement le temps des condamnations au camp où à la déportation, compte à partir du jour de l'arrestation des prisonniers. Si bien que, vers les années 1929, les hommes et les femmes condamnées, en 1924, à cinq ans au camp de Solovki ou à la déportation en Sibérie, avaient fini leur temps et étaient renvoyés sur le continent avec "-6" : interdiction de séjourner dans les six villes principales de l'union : Moscou, Leningrad, Minsk, Kharkov, Kiev, Odessa ou pour la plupart "-12" à savoir les autres grandes villes de Russie. Cela posait donc en 1928-1929, le problème de leur réinsertion, avant tout pour les religieuses dominicaines. Mgr d'Herbigny écrit dans une lettre du 3 juin 1928 à Mgr Neveu ; "Un avis indirect est arrivé ici, assurant que les autorités soviétiques permettraient assez facilement aux tertiaires dominicaines (28 dit-on) de partir pour la France. Est-ce opportun? Leur présence ne causerait-elle pas plus de difficultés que d'avantages? Leur répartition, formation, activité, semble à d'autres difficilement transplantable, et leur fondateur - le Père Abrikossof en exil à Paris - est très opposé à leur venue. Que jugez-vous?

A cette demande, Mgr Neveu répond le 9 juillet 1928 : " Au sujet des dominicaines : j'ai examiné longuement leur cas devant Dieu et avec le Père Serge Soloviev. Il nous semble que le fondateur - le Père Abrikossof - ne se rend pas bien compte de l'horreur de notre situation et de celle de ses filles en particulier. Sa propre femme, la fondatrice, autrefois bien déterminée à rester coûte que coûte, serait maintenant heureuse de parti pour l'étranger. Elle sera morte avant cinq ans, si elle ne sort pas de prison. Je vous ai déjà signalé le fait que plusieurs religieuses pour échapper aux privations ont fini par se marier et Dieu sait avec qui. En mettant les choses au mieux et en supposant que toutes arrivent à leur fin de leur emprisonnement et de leur réclusion, il est bien évident que, tant que les communistes seront au pouvoir, elle seront surveillées, reléguées un peu plus près, mais dans l'impossibilité de mener une véritable vie religieuse et de travailler. J'ajouterai que, connaissant l'esprit un peu exclusif de l'association (je ne voudrais pas employer d'expression trop forte et ne voudrais pas dire : un peu sectaire), je trouve que je séjour dans un pays catholique, la vue d'autres communautés, seraient très profitables à la jeune congrégation, qui aurait de plus la possibilité de se recruter et de travailler au sein de l'émigration. Ma conclusion, et celle du Père Serge est que le rappel de ces pauvres soeurs, qui ont suffisamment confessé notre sainte foi et affirmé leur dévouement au pape, serait chose salutaire et Dieu veuille qu'il puisse se faire."  

Neveu corrigea quelque peu par la suite ce jugement clair et lucide, mais je note ici que, dans le passé, une femme à l'intelligence supérieure comme Julie Danzas avait utilisé la même expression de sectaire à propos du groupe en 1923 et le Père Amoudru qui, en 1922, avait fait une sorte de visite canonique avait porté un jugement sévère sur la méthode de direction, trop autoritaire à son gré de Mère Abrikossova.

En 1929, par exemple, l'unique soeur qui restait en liberté à Moscou, la soeur Hyacintha, vendait des bonbons du Mosselprom (sorte d'épicerie en gros) dans les rues de Moscou. Les quelques soeurs, qui avaient eu l'autorisation de séjourner à Kostroma, donnaient des leçons de français ou d'anglais. Dans la lettre du 29 avril 1929, Neveu écrit : "On me signale qu'il est question de transférer la M%ère Abrikossova de Tobolsk à Perm." En fait, elle sera transférée à l'isolateur de Iaroslavl. Un cancer du sein s'était déclaré et, en 1932, elle fut transférée à la prison de Boutyrki, pour y subir des soins. Grâce à l'intervention de Mme Pechkova. (1)

(1) Catherine Pechkova (1878-1965), première femme de Gorki et mère de son fils Maxime et de sa fille Katioucha. Elle fut responsable de la Croix-Rouge politique jusqu'en 1937, installée dans des locaux étroits à Kouznetski Most, près de la Loubianka. Elle s'occupa des prisonniers politiques avec un rare dévouement "Pendant des années, écrit Victor Serge, cette femme maigre, entourée d'un petit nombre de collaborateurs inlassables, prodigua les secours, les interventions, les intercessions en faveur de toutes les victimes des diverses terreurs qui se succédaient sans relâche. Personne au monde, en ce siècle, j'en suis convaincu n'a connu d'aussi près tant d'infortunes, de fatalités, d'atrocité, de tragédies inévitables ou insensées. Petchkova vivait dans un enfer secret, dépositaire de secrets sans nombre, tous mortels comme le pire poison. Elle ne s'est jamais lassée ni découragée, quelques fussent les temps noirs - et pour elle seule tous les temps de la révolution furent noirs; (Victor Serge,Mémoire d'un révolutionnaire de 191 à 1941 p 350) 
 
la Mère Abrikossova fut libérée avant terme et put même quitter la prison de Boutyrki, alors qu'elle était encore en soins.
Le 14 août, elle se rendit à l'église Saint-Louis, où Neveu fut bien surpris de la trouver. Il fallut faire connaissance, car il ne la connaissait pas. "Elle est partie de Iarsoslavl à la fin de mai, écrit-il, dès le lendemain 15 août 1932. On lui fit ici à Boutyrki l'opération du cancer en juin. Elle fut bien surprise le samedi 13 d'entendre  les geôliers que la cicatrisation étant terminée, elle recouvrait sa liberté à condition de ne pas habiter les douze principales villes de l'URSS et qu'on lui accorde un séjour de dix jours à Moscou pour faire ses préparatifs. "." Cette femme, véritable confesseur de la foi est d'un grand courage ajoute Neveu ; on se sent bien petit devant des âmes de cette trempe. Elle a bien mauvaise mine encore ; elle se sert uniquement de la main droite, la gauche est devenue impotente. A Iarsoslavl , le régime de la détention et le régime alimentaire des prisonniers est épouvantable. La Révérende Mère Abrikossova était souvent envoyée au grand air (une heure et demie par jour, en même temps que Mgr Skalski (2)
(2) Sur Mgr Antoine Skalski, doyen de Saint-Alexandre de Kiev,, fut échangé en Pologne le 15 septembre 1932
et d'autres ecclésiastiques Elle a réussi à se confesser à Mgr Slaski tout en ayant l'air de se promener dans la cour de la prison. 
Dans le courrier suivant du 29 août 1932, Neveu donne de nouveaux détails : "La Révérende Mère Abrikossova est encore ici. Son frère, docteur en renom, qui apostasia publiquement ses attaches biens connues au catholicisme et qui ne s'intéressait aucunement au sort de sa soeur, a demandé pourtant à la voir. On craint une récidive du cancer et il a obtenu que la bonne Mère restât en observation.
Ce frère docteur était un académicien célèbre. Après la mort de Lénine, le 21 janvier 1924, c'est-à-lui que le Comité Central fit appel pour embaumer le corps de manière provisoire, avant les funérailles fixées au 27. Certains membres du Comité Central proposèrent alors d'incinérer le corps de Lénine, Dzerjinsky protesta : "Nous allons demander à la science de conserver à jamais le corps de Lénine. . "Le lendemain,, Molotov contesta qu'on ait confié cette tâche à Abrikossof, d'origine bourgeoise bien connue et cent-noir (fasciste), mais Bontch-Brouevitch répondit qu'Abrikossof, était le meilleur spécialiste en Europe.
Le 12 septembre 1932, Neveu écrit : "Mère Abrikossova nous a quittés le vendredi 9 courant pour Kostroma, où elle doit rester avec en compagnie d' une autre soeur. Ici, on la fatiguait beaucoup : des quantités de personnes désiraient la voir ; elle en a ramené un certains nombre à Dieu. Il paraît qu'elle serait autorisée à revenir à Moscou tous les deux ou trois mois pour se faire examiner par les docteurs. On lui a fait l'ablation du sein gauche et enlevé pas mal de chair au bras et à l'épaule (...)

Entre deux procès.

Le 19 décembre 1932, Neveu signale le retour d'Anna Abrikossova : "La bonne Mère Anna Abrikossova est ici : son cancer semble récidiver, elle est soumise à un traitment par des rayons ... compliqués. Que deviendrait sa communauté si elle mourait? Il est arrivé que la Guépéou de Kostroma avait depuis longtemps en main l'autorisation de laisser partir la Mère, mais le papier n'était pas remis, ni même communiqué à l'intéressée. Ce fut lorsque elle eut décidé de ne plus différer son départ et qu'elle eut pris son billet, qu'on lui apporta l'autorisation. "Pourquoi avoir tant tardé à me remettre ce document? - Comme nous nous avons défendu de donner des leçons ou d'être employée, nous pensions que vous sous serviriez peut-être de ce papier pour fuir ailleurs à notre insu ; quand nous avons été sûrs que vous iriez à Moscou, nous vous l'avons donné. Cynisme et bête cruauté.

La Mère à reçu une lettre du père Vladimir, qu'elle a détruite; Elle m'a dit : "Sans se plaindre de rien ou de personne, j'ai compris entre les lignes qu'il devait y avoir eu quelques froissements. D'ailleurs, il se peut qu'il porte la peine que nous avons eue toutes d'être desservies auprès d'un grand personnage de Rome. La critique est facile" - Ma Mère, rien de semblable ne s'est produit: je l'aurais su d'une façon ou d'une autre. La preuve, c'est que le Saint-Père a fait plusieurs fois le geste de bénédiction lorsque votre nom a été prononcé devant lui. - Comme vous me consolez." Elle ajouta ensuite : Nous sommes toutes prêtes à mourir pour le pape, s'il le fallait et à travailler pour lui, si nous pouvions. Le Père Vladimir n'a certainement pas d'autres dispositions, je le connais assez bien pour l'affirmer.

Le personnage de Rome qu'Anna ne mentionne pas n'est autre que mgr d'Herbigny dont le Père Vladimir s'est souvent plaint. Mgr d'Herbigny le lui a d'ailleurs rendu, qui écrivait, dans sa lettre du 7 juin 1933 à Mgr Neveu : "Le bon père Vladimir, s'attendant à être reconnu dès son arrivée à Rome comme vicaire de l'exarque et promu peut-être à l'épiscopat, puisque sa femme était devenue moniale, a été peiné au point de renoncer depuis 1924 à tout contact avec les catholiques russes ou même avec d'autres. La Commission Pro Russia" n'existait pas encore. Depuis sa création, on a cherché par plusieurs voies à prendre contact avec lui. J'ai fait des visites personnelles et écrit plusieurs lettres, sans jamais le trouver, sans jamais un mot de réponse. Nul ne sait s'il célèbre la messe, où et quand. Il n'a jamais demandé de célébrer depuis 1925 à la Commission. Plus heureux que Mgr Bucys (3)

(3) Mgr Bucys, évêque "ordinant", sacré le 6 juillet par Mgr Kourtefff pour les ordinations russes de rite oriental ancien vice-recteur de l'Académie ecclésiastique de Saint-Péterbourg.
Mgr Chaptal a pu le voir une fois en 1932, quand le Père Vladimir est venu lui demander un emprunt pour Londres. Il vit avec sa mère âgée, mais en donnant de fausses adresses. Des bruits fâcheux ont couru six mois après son arrivée à Rome et se sont parfois renouvelées à Paris. Les paroles vives et plus que vives à l'égard du Saint-Siège et des catholiques en général, fréquentes pendant les premières années semblent avoir cessé. Tout ce qui pourrait aider à remettre de la paix dans cette âme et à utiliser son savoir et son esprit de zèle pour l'apostolat serait précieux. Mais rassurez la Mère : il est aimé, et encore une fois, elle-même avec son oeuvre sont très estimées.
Naturellement ajoute Neveu, je me gardai bien de faire la moindre allusion à l'affaire de Londres, dont vous m'avez dit un petit mot. Il est bien malheureux que l'état de santé du pauvre père l'empêche de travailler et lui inspire des démarches risquées, car ici tout le monde l'estime profondément. Aux demandes qui me sont faites fréquemment, je contente de répondre : "il est malade."
La Mère Abrikossova a quitté Moscou le 26 décembre 1932 avec sa "socia" pour Kostroma où elle a été assignée à résidence et où, très vite, elles contractèrent la grippe. Le 27 février 1933, la socia vient à Moscou et apprend à Neveu que le cancer gagne le bras et les mains. Anna Abrikossova devait revenir à Moscou à Pâques. Elle n'arriva que le 19 juin, pour se faire soigner; le mal empire. Le 3 juillet, Catherine Pechkova, providence des prisonniers, la met en garde contre ses contacts avec la jeunesse et la direction des soeurs, qu'elle assume pleinement.
En effet, Neveu écrit le 3 juillet ; "La Mère a pu assister à plusieurs réunions clandestines de jeunes étudiants : elle trouve qu'il faudrait peu de choses pour détacher la jeunesse du marxisme et du matérialisme, dont le vide désolant se fait déjà bien sentir à ceux qui se sentent tout de même supérieurs aux animaux; mais nous n'avons pas de lectures à leur donner. Par contre, la Mère constate en ce moment du mauvais esprit chez les orthodoxes. Elle regrette aussi que les étrangers, se trouvant bien chez eux, n'entreprennent rien pour améliorer le sort des chrétiens de Russie. A quoi Neveu répondit : "Alors, vous voudriez une nouvelle guerre? Qui sera disposé à venir se faire tuer pour vous, alors que dès le début, l'immense majorité du peuple a fait sa soumission aux nouvelles autorités?" Et l'on en reste là.
Le 30 septembre Neveu s'inquiète ;
L'affaire de la Révérende Mère Abrikossova prend des proportions inquiétantes. Outre les personnes déjà arrêtées, se sont ajoutées Mlle Tamara Füssnern soeur de Mlle Olga, les Konsomolski qui fréquentent chez elle et Mlle Camilla Krouchelnitskaïa. Je vous ai raconté l'arrestation de la bonne  et si vertueuse Soeur Philomène Eismont à Riazan. Un jeune homme juif de Krasnodar, converti par les Dominicaines et nommé Paul, musicien de son état, visitait les dominicaines d'ici, où ils'était fixé ; on le fila au buffet de la gare de Briansk, où il faisait partie de l'orchestre. Comme je m'inquiétai de ne pus le voir à l'église depuis un certain temps, je chargeai quelqu'un d'aller aux informations chez les parents juifs où le jeune homme logeait sans s'être fait reconnaître comme chrétiens et les parents déclarèrent que le 17 août, après une perquisition, qui n'avait amené que la prise de livres de piété, le jeune homme avait été arrêté. Or à Krasnodar se trouvaient les deux religieuses les soeurs Madeleine et Ioanna, qui ont converti le jeune homme, plus une jeune juive de Kostroma, baptisée par par le Père Serge, il y a trois ans, sous le nom de Thérèse et qui a dû quitter il y a un mois et demi, ses parents; ceux-ci ayant découvert qu'elle était catholique, firent à Kostroma, où se trouvait la Mère Abrikossova, un scandale épouvantable, maudirent leur fille en public et firent des menaces.
Comme nous sommes sans nouvelles de Krasnodar, je crains bien que les deux soeurs et la néophyte ne soient déjà arrêtées. Il faut aussi considérer comme certaine l'arrestation de la jeune soeur Véronique Tsetkova, qui travaillait ici dans un bureau. Au commencement d'août, elle partit pour un congé à passer dans sa famille à Sytchkova (gouvernement de Smolensk, à mi-chemin entre Rjev et Viazma.) et devait être rentrée au plus tard le 30 août à Moscou. Elle communiait chaque jour, et, comme je ne la voyais pas, je dépêchai une messagère chez la propriétaire de la chambre, où, la petite soeur logeait. Là, il fut dit que, dans la nuit du 15 août, le dvornik de la maison se présenta en compagnie d'un individu prétendant que la soeur devait avoir chez elle des papiers appartenant à des étudiants et qu'il avait mission de les prendre ; on le lui refusa l'entrée, mais, depuis, on est sans nouvelles de la Soeur. C'était aussi une très belle âme, très pure, sérieuse, pleine de bon sens de calme et de coeur. (4)
(4) Nadejda Efimovna Tsvetkova, née en 1900, gouvernement de Smolensk, convertie au catholicisme oriental tertiaire dominicaine sous le nom de Soeur Véronique, elle avait été condamnée au premier procès, le 19 mai 1924, à trois ans d'exil.
Le 17 juillet, la Mère Abrikossova est retournée à Kostroma d'où, pensait Neveu, elle ne reviendra pas avant octobre. En fait, dès le 5 août, elle était arrêtée. Le 18 décembre, Neveu écrit : "Toute les personnes arrêtées depuis la fin de juillet 1933 sont à la prison de Boutyrki, sauf deux, la Mère Abrikossova et la digne soeur Philomène Eismont. " La Mère Abrikossova, écrit Neveu, le 14 août 1933, est ici, à la prison intérieure du Guépéou. Les deux demoiselles Camilla Krouchelnitskaïa et Olga Füssner sont à Bouturki. Les komsomols qui les fréquentaient sont arrêtées toutes. Mme Pechkova a dit à la socia de la Révérende Mère, qu'il s'agissait là d'une affaire très grave. Et Neveu commente : C'est le Guépéou qui dose comme il veut la gravité des affaires. "C'était grave, en effet, puisque l'instruction avait révélé qu'il ne s'agissait pas moins que d'attenter à la vie de Staline.
 

Le procès de la conspiration catholique contre la vie de Staline.

Ce procès porte dans les archives du NKVD le litre "Affaires n° 2373", concernant vingt-quatre personnes : moniales dominicaines, laïcs catholiques, jeunes étudiants. Les premières arrestations eurent lieu du 27 au 30 juillet 1933. Ecoutons ici encore le témoignage privilégié de Mgr Neveu, qui annonce ces arrestations à Mgr d'Herbigny, le 14 août : "Dans les premiers jours d'août, j'apprends l'arrestation de deux de mes pénitentes, dans la nuit du 27 au 28 juillet 1933; cette demoiselle Olga (...) qui fit son abjuration l'hiver dernier, et sa compagne de domicile et de service, Mlle Camilla Krouchelnitskaïa, âgée de 40 ans, personne très sérieuse et de grande piété, faible de santé, dont la soeur, Soeur Jadwiga, est Fille de Charité à Varsovie, Tamka N° 35; pendant la perquisition, on saisit une bible en polonais, quelques livres et les lettres que Mlle Camilla échangeait avec sa soeur par la poste.

Quelques jours se passèrent et, de Kostroma, arrive "la socia" de la Mère Abrikossova, rapportant que cette dernière a été de nouveau arrêtée le 5 août, au lendemain de la Saint-Dominique. Mlle Krouchelnitskaä est instruite ; de jeune filles, des komsomolki, deux surtout se réunissaient chez elle pour lui demander des explications sur la religion; ces jeune filles se disaient mécontentes et dégoûtées du matérialisme. Pendant son dernier séjour ici, la Mère Abrikossova avait fait visite à Mlle Camilla et y avait deux fois rencontré cette jeunesse, que les idées à la mode commencent à révolter ; y a-t-il eu bavardage? La Mère, très surveillée ici, a-t-elle été suivie? Tout cela est possible.

Chez Mlle Camilla on avait saisi les Procès-verbaux sionistes de Nilus (Le Protocole des Sages de Sion), ouvrage considéré comme super-contre-révolutionnaire et qui lui avait été prêté par un "ouvrier" russe, habitant la même maison. Que s'est-il passé à la prison du Guépéou? Le fait est que ce pauvre ouvrier a été arrêté à son tour et, c'est un orthodoxe, ce qui semblerait faire croire que l'une ou l'autre amies a parlé ... Notez, cher Seigneur, que la Mère Abrikossova a été arrêtée cinq minutes après avoir reçu (...) un mandat de 200 francs sur le Torgsin (magasin réservé, où les privilégiés peuvent payer en devises: on a emporté les adresses qu'elle avait et les livres manuscrits, traductions russes d'ouvrages de piété et d'ascétisme. Elle est partie entre les deux agents du Guépéou, malade comme elle est, les deux mains dans les poches, absolument sans rien du tout (...) Mlle Olga est déjà transférée à la prison de Boutyrki. On ne sait rien au sujet de la Révérende Mère Abrikossova, malgré toutes les diligences faites pour savoir où elle se trouve."

En même temps que Camilla Krouchelnitskaïa, fut arrêtée une jeune étudiante de l'université de Moscou Anna Brilliantova. (5)

(5) Anna Brilliantova, née en 1919 dans l'Oural, avait été exclue de l'université de Tcheliabinsk pour propos antisoviétiques. Son père, avait été victime de la répression. A Moscou, Anna put néanmoins poursuivre ses cours à l'université mais fut membre du groupe des étudiants en biologie du cercle Lamsomol, qui suivait les théories de Lamarck, sur la supériorité des classes intellectuelles. La Russie allait mal, parce que l'on avait éloigné les classes dirigeantes de la noblesse et de la bourgeoisie. 
 Elle fut interrogée sans relâche les nuits du 28 au 31 juillet, après quoi les enquêteurs obtinrent d'elle l'aveu de tous les crimes imaginaires, et notamment le dessein qu'elle avait formé
Elle fut interrogée sans relâche les nuits du 28 au 31 juillet, après quoi les enquêteurs obtinrent d'elle l'aveu de tous le crimes imaginaires, et notamment le dessein qu'elle avait formé d'assassiner Staline. Elle déclara notamment : " Quand je suis arrivée à Moscou en 1931, je suis tombée entre les mains d'un groupe catholique missionnaire. Il considère le pouvoir soviétique comme un pouvoir basé sur la force et l'oppression du peuple. Comme je me considérais moi-même comme adversaire du système soviétique, j'estimais de mon devoir de lutter contre ce pouvoir par tous les moyens, y compris l'acte terroriste individuel. L'espionnage, le sabotage et l'acte terroriste  étaient considérés par moi également valables. Plus loin elle déclare ; "J'ai fixé mon choix sur Staline, parce que l'élimination de Staline devait susciter de grands bouleversements politiques dans le pays. L'élément fondamental qui me poussait était le désir de venger les souffrances du peuple dont, à mon sens le responsable est Staline.
(...) Anna Brilliantova n'est jamais nommée dans l'abondante correspondance de Mgr neveu. Si Néanmoins le procès de la conspiration contre la vie de Staline est imputée aux catholiques, c'est qu'effectivement Anna Brilliantova a été en rapport avec Camilla Krouchelnitskaïa.  "Souvent dans ses conversations, avec moi déclara Anna Brilliantova a été en rapport avec moi, déclara Anna Brilliantova aux enquêteurs. Krouchelitskïa disait que le principal responsable de ce qui arrive à la Russie était Staline. En conséquence, mes dispositions terroristes furent renforcées. Réfléchissant à l'acte terroriste individuel, mon choix tomba sur Staline. Camilla dit alors que, si elle était athée et jeune elle-même, elle passerait à la lutte active contre le pouvoir soviétique et accomplirait un acte terroriste contre Staline."
Pareille imputation est manifestement incompatible avec les dispositions de la prisonnière catholique, qui, il est vrai, n'a pas craint de déclarer son hostilité au pouvoir soviétique, mais n'aurait jamais, en vertu même de ses convictions religieuses, commis un crime contre le pouvoir établi. "Je me considère, déclara-t-elle au cours des interrogatoires, adversaire du régime soviétique. La raison fondamentale est l'absence dans la Russie soviétique des libertés civiles. Comme croyante, j'estime qu'en Russie soviétique il est impossible de professer ouvertement sa foi. Les Eglises des différentes orientations sont persécutées et les meilleurs enfants de l'Eglise sont victimes de la répression.
Pourtant Anna Brilliantova déclara que, lorsqu'elle fit connaître à Camilla Krouchelnitskaïa sa décision, celle-ci lui dit : "Je te bénis pour cela." Elle lui fit voir alors la nécessité de garder le secret de la conspiration, de changer de coiffure et d'habillement, pour être moins remarquée et éviter les possibles filatures.
Pour étayer la vraisemblance du projet d'attentat, on arrêta la nièce de Camilla Kourchelnitskaïa, qui connaissait le fils du commissaire de la Défense Kliment Vorochilov, Pierre. Par elle on pensait pénétrer au Kremlin et avoir le plan des appartements de Staline. A cette jeune fille les enquêteurs après traitement, promirent la liberté, si elle signait les accusations contre Camilla Kourchelnitskaïa et Anna Brilliantova. "Elles ont fait naître en moi, déclara-t-elle, la haine de Staline et des autres chefs en affirmant qu'il est responsable des malheurs dont souffre le peuple russe. Eux jouissent de tous les biens, alors que leur direction a conduit le pays à la famine et à la misère. En m'entretenant de leur plan terroriste, elles m'ont demandé où et comment étaient situés les appartements et les datchas de Staline et de Vorochilov et de quelle manière on pouvait pénétrer au Kremlin.
Les enquêteurs devaient sentir eux-mêmes la faiblesse des aveux et l'inconsistance de l'actes terroriste imaginé par deux jeunes filles. Ils leur adjoignirent donc un jeune homme, Paul, le jeune juif converti par Soeur Madeleine, à Krasnodar, dont parle Neveu dans sa lettre du 30 septembre 1933, citée plus haut. Au procès,, il déclara : " Kramarovskaïa me disait , que, seul de Krasnodar, j'étais élu pour une grande chose. Je devais me préparer pendant deux mois, sous la direction du curé, mon Père spirituel,. Après cela, il me dira ce que je devrais faire. Elle me disait que je devais chaque jour, être fidèle à l'examen de conscience, me préparer à la mort et cultiver en moi le sens du sacrifice et la disposition à mourir au nom d'une grande cause. Tout cela a fait de moi un fanatique, prêt à accomplir n'importe quel acte et faire ce pour quoi ils m'avaient préparé. "
L'enquête, on le voit, dramatise les actions par lesquelles Soeur Madeleine préparait Paul à recevoir le baptême. Cette préparation est comprise pour le besoin de la cause comme une détermination à commettre à n'importe quel prix, un acte terroriste.
 

Les confessions "politiques" de Camilla Krouchelnitskaïa. 

Au cours des interrogatoires du procès, de 1933 de la conjuration des catholiques contre le vie de Staline, une convertie de date récente, Olga Gennadievna Fitzner, déclara : "Il y a douze ans que je désirais me faire catholique. Le rite eu lieu en décembre 1932, chez l'évêque Neveu, en l'église catholique. J'ai signé un acte et fus reçue selon le rite oriental. Avec moi, il y a dans l'église française un groupe de catholiques de rite oriental, qui, à défaut d'avoir leur église et par suite de leur petit nombre, fréquentent l'église latine. Après mon passage au catholicisme, j'ai fait connaissance des religieuses de rite oriental. "

Dans sa lettre du 2 janvier 1934, Neveu envoie la profession de foi de la néophyte, sans la nommer : " La présente vous apportera une feuille d'abjuration d'une demoiselle d'âge mûr, qui s'était longtemps et très sérieusement préparée à faire le pas décisif; influence d'une amie catholique, très pieuse et très sûre qui a beaucoup prié et travaillé pur obtenir cette conversion." (6)

(6) Olga Fitzner, née en 1885, à Kasimov, près Riazan, arrêtée à Moscou en juillet 1933, condamnée le 19 février 1934 à cinq ans d'ITL (camp de redressement par le travail - l'unité de base du Goulag - (article 58, 10 et 11 ) au Bamlag (projet de la voie ferrée Baïkal-Amour) ; libérée le 2 décembre 1937, à nouveau arrêtée le 17 août 1940.

Cette amie était Krouchelnitskaïa, comme elle le dira elle-même au procès : " En 1933, j'ai dit à Neveu que Fitzner O.G. désirait devenir catholique. J'ai également parlé à Neveu de Brillliantovna A.V.: jeune étudiante qui cherche et balance entre l'athéisme et l'existence de Dieu. (toujours minuscule dans le dossier du N.K.V.D.) Malgré mes efforts, elle ne peut venir à Dieu. De même, j'ai dit à Neveu que se réunissaient chez moi des jeunes filles qui n'étaient plus satisfaites de l'idée du marxisme et qui s'intéresseraient à l'idée de l'existence de Dieu. Pour ma part, je m'efforçais de les éclairer. Neveu réagit positivement à cette initiative et son accord me donna encore plus de confiance et de force." Neveu connaissait donc au moins l'existence de cette Brilliantova qu'il ne mentionne jamais dans sa correspondance.

Les actes de l'affaire n° 2373 contiennent également les dépositions de Khmeleva, ancienne religieuse relevée de ses voeux et mariée, qui rapporte les déclarations de Soeur Marguerite Krylevskaïa, employée par elle - après que son mari eut péri dans un accident de chemin de fer - comme femme de ménage.

"Neveu a demandé aux religieuses " de tenir fermement à la plate-forme qu'elle ont adoptée. Il a appelé le peuple russe un peuple malheureux disant que les voies de Dieu sont insondables." Il fallait comprendre cela dans ce sens : c'est en vain que les bolcheviques se croient forts. Cependant, avec aucune de nous il n'a parlé d'une quelconque intervention, mais bien souvent il a clairement dit "qu'à l'étranger ils avent tout". Neveu a été l'inspirateur idéologique de notre activité contre-révolutionnaire.

A l'automne 1932, Neveu dit qu'à l'ambassade de France il y a beaucoup de lettres jetées par des anonymes, qui demandent à "l'Europe de venir au secours de la Russie et de la délivrer des bolcheviques." En 1933, il m' adit : la Russie est u pays malheureux. Mais par son exemple Dieu veut donner une leçon au monde entier et montrer ce qu'il en coûte d'abandonner la religion. Le peuple souffre et est torturé, mais il n'est pas fautif. La faute en est à ses gouvernants. Neveu a toujours conseillé de supporter toutes les difficultés et des les offrir en réparation de ses péchés passés et pur le salut de la Russie. Il nous a toujours demandé de prier pour la Russie, disant que "je devais aimer ma patrie."

Soeur Madeleine (Komarovskaïia) déclara au procès : " Ces derniers temps, nos entretiens avec Neveu avaient pris un caractère politique anti-soviétique. J'ai informé Neveu du fait que les partis politiques et le pouvoir soviétique ont, dans le domaine de l'agriculture, conduit la population et la paysannerie à la famine et à la misère. Je lui ai parlé des masses de paysans affamés qui, inondaient Moscou, s'enfuyaient de l''Ukraine et du Caucase du Nord... Vivant jusqu'en 1933, à Stavropol, j'ai éprouvé d'énormes difficultés, car il y avait alors là-bas la famine et l'anthropophagie, chose que j'ai indiquée à Neveu.

A nouveau revint dans les interrogatoires la question de l'intervention étrangère. Camilla Krouchelnitskaïa, par exemple, signa la déclaration suivante : " En considérant la possibilité du renversement du pouvoir soviétique, nous escomptions que la population ne soutiendra pas le pouvoir soviétique, vu qu'il lui est hostile, surtout la paysannerie. A propos de la politique de la collectivisation, nous avons cherché la cause qui pourrait pousser les masses à manifester leur mécontentement d'une manière active. Nous avons estimé que cette cause pourrait être l'intervention qui rétablirait le système capitaliste.

Camilla Krouchelnitskaïa finit par reconnaître que l'organisation contre-révolutionnaire était dirigée par Anna Abrikossova, qui, relâchée une première fois pour soigner son cancer et qui s'était retirée à Kostroma,y fut de nouveau arrêtée le 5 août 1933.

... et d'Anna Abrikossova

A son premier interrogatoire, celle-ci déclara : "Je me considère comme adversaire par principe du système soviétique. Dans ce système trouvent son expression, entre autres, la terreur politique et l'oppression de la personne. En URSS a été recherchée et se poursuit la dictature du parti communiste sur le peuple."

Elle reconnut également ses rencontres avec les jeunes ; "En juin-juillet 1932, furent organisées cinq rencontres. Les entretiens portaient sur des thèmes religieux et politiques. Les thèmes religieux avaient un caractère religieux-philosophiques. Les thèmes politiques comportaient un examen de la situation politique et économiques du pays et cela dans un éclairage anti-soviétique."

Anna Abrikossova rêvait de l'instauration d'une authentique démocratie, comportant l'égalité de tous devant la loi sur la base des libertés civiques, liberté de conscience, de parole, de presse et l'inviolabilité de la personne. Dans ce dernier interrogatoire, Anna Abrikossova reconnut le caractère contre-révolutionnaire de son travail auprès des jeunes, car disait-elle, " la jeunesse soviétique ne peut parler de sa conception du monde. Elle a des oeillères, elle ne connaît qu'une direction et ne s'exprime que par la phraséologie du marxisme-léninisme. Or, la conception du monde, tant au point de vue politique que spirituel, ne peut être recherchée que sur la base de l'examen critique et libre de tous les acquis de la pensée philosophique et politique.

On reste surpris de voir que les sténographes, souvent incultes, dès que la pensée dépasse le matérialisme dialectique, aient reproduit assez fidèlement la philosophie sociale d'Anna Abrikossova

Cherchant à diminuer la responsabilité des jeunes de son cercle, Anna déclara qu'ils n'avaient guère pris une part active à ces discussions et n'avaient été recrutés par elle que peu de temps avant son arrestation. 

Des Filles d'Anna Ivanovna, quelques-unes ont faibli, mais la plupart se sont montrées dignes de leur Mère. Elles confessèrent leur fidélité à l'Eglise catholique et leur dévouement à la Mère Abrikossova. Soeur Catherine Gotovsteva, par exemple déclara : Je ne donnerai pas d'indication sur les questions à mon appartenance à l'ordre secret des dominicaines ou concernant les autres personnes, parce que, premièrement, en ce qui me concerne c'est là ma vie spirituelle personnelle, au sujet de laquelle je ne donnerai aucun compte à l'enquêteur. Et, en second lieu, les autres personnes sont en droit de répondre ou de ne pas répondre à l'enquêteur : c'est là l'affaire de leur propre vie spirituelle. (7)

(7) Ekterina Ivanovna Gotovtseva, née en 1883, devenue catholique, condamnée au premier procès des dominicaines, le 19 mai 1924, à trois ans d'exil dans l'Oural, libérée le 9 mai 1927 avec - 6, s'établit à Krasnodar, où elle est à nouveau arrêtée le 15 janvier 1934 est condamnée le 19 février à cinq ans d'ITL au Bamlag. Enfermée à l'isolateur punitif du camp, elle y est morte le 14 juillet 1938, authentique confesseur de la foi.
 
Soeur Marguerite Krylevskaïa reconnut : J'ai exprimé des vues contre-révolutionnaires dirigées contre la politique du parti et le pouvoir soviétique. A présent encore, je maintiens ces vues. Je suis un adversaire de principe de la politique menée par le pouvoir soviétique. Etant un partisan convaincu de la théocratie papale, j'ai fait du but de ma vie la réalisation de la théocratie en Russie. (Que voilà une digne disciple de Vladimir Soloviev) L'enquête dira d'ailleurs de cette soeur : "Elle est inconditionnellement dévouée à la Mère et à Neveu. Selon ses propres paroles, pour eux, elle ira jusqu'à la mort par les armes. (8)
(8)  Ce sort ne lui échut pas, mais elle connut l'itinéraire tourmenté des confesseurs de la foi. Née en 1895 à Vladimir d'un milieu ecclésiastique orthodoxe, elle fut infirmière durant la guerre. Entrée dans l'Eglise catholique au tiers ordre dominicain sous le nom de soeur Marguerite de Hongrie, elle fut condamnée au premier procès, le 19 mai 1924, à trois ans d'exil dans l'Oural, puis reléguée le 9 mai 1927 à Tobolsk. Libérée en 1929, elle se fixa à Kostroma où elle est à nouveau arrêtée le 8 octobre 1933 pour figurer au procès de la conjuration des catholiques contre la vie de Staline. Condamnée le 19 février 1934 à dix ans d'ITT dans les camps de Komis et du Kazakhstan. Libérée en octobre 1943, elle s'établit à Kalouga, où elle fut à nouveau arrêtée pour espionnage au profit du Vatican, en raison de ses relations  avec le Père Braun et condamnée une nouvelle fois à dix ans d'ITL, le 17 août 1949. Libérée le 10 octobre 1955, après la mort de Staline, elle retourna à Kalouga.
 
 
En conclusion des interrogatoires, les soeurs dominicaines dressèrent un portrait tout à l'éloge de la Mère Abrikossova : "Anna Ivanovna est une personne entièrement donnée à sa cause, de grande intelligence, qui a beaucoup lu et lit encore pour suivre la politique. Elle possède une volonté ferme et inflexible, qui lui a permis de supporter neuf années d'isolement et une grave opération Elle est capable de tout pour atteindre son but. Elle est une organisatrice et un chef né. En prison de 1924 à 1932, elle est sortie pleine de forces et a repris sa cause. Toutes les soeurs sont à nouveau placées sous sa direction."
L'affaire qui s'appelait au début "Les procès de la conspiration catholique contre la vie de Staline", vu l'inconsistance de l'accusation concernant l'acte terroriste contre Staline, et peut-être à cause du danger  qu'il y avait pur les instructeurs de mêler le nom de Staline à un procès contre des religieuses comme toute ordinaires, prit au cours de l'enquête le nom d'Affaire contre-révolutionnaire de l'organisation terroriste-monarchiste."
(suit la conclusion de l'accusation dans l'affaire contre-révolutionnaire de l'organisation terroriste-monarchiste.Non repris ici, voir les pages 78 et suivantes)
 

La fin des tertiaires dominicaines.

En 1935 eut lieu à Voronège le procès de trois prêtres catholiques, qui avaient reçu des honoraires de messe de Mgr Neveu, et des trois religieuses dominicaines, qui avaient servi d'intermédiaire. Le fait d'avoir d'avoir transmis à Neveu cette relation fut considérée plus tard comme un crime. Le soeurs Entkévitch et Goirodets furent arrêtées et reconnurent que cette relation avait été rédigée dans un esprit anti-soviétique et comme si le procès constituait une provocation du gouvernement soviétique.

Au demeurant, les Soeurs dominicaines, qui réussirent parfois à se retrouver dans un même camp, y formèrent des groupes pour diffuser les idées catholiques, considérées comme contre-révolutionnaires par les gardiens et les mouchards. A l'occasion de la libération de prison d'une certaine Asakian, les soeurs Gotovstseva Ekaterina Ivanovna et Fitzner Olga Gennadevna, du camp de Bamlag, dominicaine de l'Allemagne. Cette lettre fut bien sûr, saisie. Il n'en subsiste qu'un extrait dans le dossier, le plus compromettant aux yeux du NKVD, le plus émouvant au point de vue de la foi : "Par l'esprit nous restons fortes; ni camps, ni organes du NKVD ne pourront détourner du vrai chemin des fidèles filles et fils de l'unique Eglise catholique. Même ici, nous nous efforçons de gagner les recrues, aussi intrépides que nous à l'Eglise catholique."

Les années 1935-1949 amenèrent insensiblement l'extinction de la communauté dominicaine. Le 14 juillet 1938, mourut, à la section pénitentiaire du Bamlag, soeur Ekaterina Ivanovna Gotovtseva, condamnée au procès de 1933-1934 à cinq ans de camp. Le 23 juillet 1936, est morte du cancer à la prison de Boutyrki la Mère Abrkossova. Le 12 novembre 1936 fut assassiné à Viessiegonsk le Père Jean Deubner, qui avait terminé ses quinze années dans l'isolateur de Souzdal. Crime qui n'a jamais été éclairci..

 

Le 29 mai 1936 est mort à Solvovki le Père Nicolas Alexandrov. Le 27 juillet 1937 fut arrêté le dernier prêtre de rite oriental, le Père Epiphane Akoulov, condamné à être fusillé, exécuté le 28 août 1937 à Leningrad. Le 9 octobre 1937 fut condamné à la "mesure extrême du châtiment", c'est-à-dire à être fusillée, Camilla Krouchelniskaïa, exécutée le 27 octobre, en Carélie.

Quelques Soeurs, qui avaient été après leur temps assignées à résidence dans la République autonome d'Aygueïa (capitale Maïkop) vers la mer Noire, furent arrêtées le 22 février 1940, sous prétexte de former une secte et condamnées, le 22 août 1940. Le 29 juin 1941, une semaine après l'invasion de la Russie par les troupes allemandes, au lieu d'une réaction de défense stratégique, le NKVD donna des ordres d'extermination dans les camps et les prisons, situés à quelque 200 km de la frontière. Fut arrêtée la Soeur Tamara Sorotchinskaïa qui avait fait cinq ans de Bamlag et qui fut condamnée à dix ans de camp de travail forcé.

On a du mal à imaginer ce que pouvait être la vie de ces pauvres religieuses, pendant la terrible guerre de 1941-1945 : celles qui étaient dans les camps en Sibérie ou en déportation au Kazakhstan ne pouvaient plus recevoir de colis, d'autres se trouvaient par la force des choses en zone occupée, à Maloiaroslavets pour un temps relativement court, il et vrai, du 18 octobre 1941 au 2 janvier 1942. Chose qui en soi était déjà considérée comme un crime. Pourtant la plupart survécurent, comme nous l'apprend la lettre du Père Braun du 1er février 1945. "Soeur Stéphanie a été arrêtée vers septembre 1941 et est exilée pour sept ans dans le Kazakhstan. Soeur Marie-Rose, qui était allée volontairement la secourir, y est morte le 11 janvier 1944. Actuellement, Soeur Catherine partage ce dur exil. Elles sont secourues régulièrement. C'est soeur Antonine qui est chargée de ses compagnes ici. Ce matin, soeur Lucie et Soeur Rose étaient à la messe. Sooeur Thérèse a été de nouveau arrêtée et exilée,depuis la libération de Maloiiaroslavets. Des autres soeurs en exil ou partiellement  libérées, on a des nouvelles des soeurs Philomène et Marguerite qui reçoivent aussi des secours dans la mesure du possible."

Le regroupement des soeurs à Maloiaroslavets et les contacts maintenus avec le Père Braun et, après son départ, avec son successeur le Père Antoine Laberge, furent considérés comme un acte contre-révolutionnaire. L'affaire M-2631 dit : "En 1948 fréquentèrent l'église (Saint-Louis) Kouznetsova V.V. (Soeur Antonine) et d'autres. Léopold Braun avait un large de liaisons (près de 700 personnes) parmi les citoyens de l'URSS dot la plupart le voyaient à l'église. Au nombre de ces personnes, Kouzersova V.V. qui vivait dans la communauté de Maloiaroslvets - à 120 km au sur-ouest de Moscou - dont chaque semaine l'une des soeurs, et habituellement Kouznetsova, venait à Moscou pour rencontrer à la sacristie, recevoir de l'argent et des vivres".

Le 30 novembre 1948, cinq soeurs (...) de la communauté furent arrêtée.

La conclusion de l'accusation précise : " Les Pères Braun et Laberge se servaient des catholiques citoyens soviétiques qui s'adressaient à eux pour la confession, pour recueillir des informations sur les dispositions de la population, la situation alimentaire dans le pays et d'autres questions dans un esprit anti-soviétique. 
A leur demande, ces personnes menaient parmi la population de l'agitation anti-soviétique, recueillaient des informations à caractère d'espionnage et recevaient en échange de l'argent."

Le 17 août 1949, les quatre soeurs furent condamnées à dix ans de camp. L'affaire des soeurs Kouznetsova V.v. et Roubachova N.N. également arrêtées, fut traitée séparément parce que les interrogatoires concernaient spécialement les activités du Père Antonio Laberge, qui avait succédé au Père Braun, expulsé de l'URSS le 27 décembre 1945. Le 29 octobre, les deux soeurs furent condamnées à quinze ans de travaux forcés. Restait soeur Krougel, qui refusa de signer l'acte d'accusation d'espionnage et fut fut condamnée, le 2 juillet 1949, au traitement forcé dans un hôpital psychiatrique, où elle fut dirigée le 17 septembre 1949 (...)

La couronne de olongévité carcérale revient à trois religieuses du tout prmeir groupe de Mère Abrikossova, soeur Philomène Eismont reçut le 19 mai 1924 trois ans d'exil à Obnorsk (aujourd'hui Salekhard); huit ans d'ITL au deuxième procès des dominicaines au camp de régime sévère Oukhpetclag (Oukhta et Petchora), augmentés de trois ans d'exil au Kazakhstan. Revenue à Kalouga, elle eut dix ans d'ITL au troisième procès de Maloiaroslavets, passés à l'Angarlag commués en relégation le 3 novembre 1954.

Soeur Antomine ( Kouznetsova) au procès de 1924 eut une peine d'exil de trois ans au Karymski Kraï. A son retour d'exil, elle fut emprisonnée au procès des prêtres de Voronège. A nous veau arrêtée en 1941, sans que son affaire révèle une trace de condamnation, elle eut au deuxième procès de Maloiaroslavets quinze ans d'ITL au camp d'Angara pour espionnage au profit du Vatican.  Libérée avant terme le 14 juin 1956, elle retourna à Maloiaroslavlets.

Le troisième est soeur Marguerite (Raissa Ivanovna Krylevskaïa) condamnée à trois ans d'exil dans l'Oural au procès de 1924, suivis de trois ans de relégation à Tobolsk. Libérée en 1929 elle s'établit à Kostroma où elle fut en 1933 la socia de Mère Abrikossova et arrêtée comme elle au procès de 1933-1934. Le 19 février 1934, elle eut dix ans d'ITL dans la République des Komis et au Kazakhstan. Libérée en octobre 1934, elle se fixa à Kalouga où elle fut à nouveau arrêtée et condamnée le 19 août 1948 à dix ans d'ITL pour espionnage au profit du Vatican. Le 10 octobre 1945, elle fut libérée pour cause d'invalidité et se retira à Kalouga.

Les catholiques à Solovki (1)

(1) Il peut paraître prétentieux de parler de Solovki après Soljenitsyne, qui dans L'archipel du Goulag consacre un chapitre émouvant à Solovki, t.2. ch.2 p.21-55 L'archipel au secret de la mer avec des illustrations plus éloquentes que des paroles. Mais il s'agit ici de l'îlot issu de Saint-Louis et des prêtres catholiques que Soljenitsyne mentionne certes avec respect, mais sans leur consacrer dans ses trois tomes plus des autre lignes citée plus haut p.20
 
Le premier procès du groupe de soeurs dominicaines condamna à Solovki le 24 mai 1924, la soeur Imelda (Anna Spiridovna Serebreniakova) dix ans Tamara Arkadevna Sapojnikova, (...) dix ans, le laïc Vladimir Vassilievitch Balachev, ancien rédacteur en chef de la revue des catholiques orientaux Slovo Istini (La parole de Vérité), dix ans : le Père Nicolas Alexandrov, né en 1884 ancien employé des Affaires étrangères de l'empire tsariste à Berlin, devenu catholique et ordonné prêtre de rite oriental, automne 1921, dix ans.

Le 13 février 1928, ce fut au tour de Mgr Sloskans, d'être désigné pour Solovki. Au cours des années suivantes se joignirent à eux Julie Danzas, transférée à l'isolateur d'Irkoutsk au printemps 1928 (2)

(2) Des archives de la Croix-Rouge politique, Mémorial nous a montré quelques lettres de Julie Danzas. En 1932, libérée de Solovki, elle se trouvait à Medvejia Gora sans pouvoir aller nulle part. Elle désirait un emploi à Tiflis auprès de l'académicien N, Ia. Marr, linguiste mondialement connu. Ses forces spirituelles étaient intactes, écrivait-elle, et elle ne comprenait pas qu'on ne trouvât rien pour une personne qui possédait neuf langues. Elle priait instamment Pechkora de faire une démarche auprès de Gorki. Celui-ci obtint pour elle qu'elle quitte l'URSS pour la France contre une rançon de 20.000 francs payés par son frère émigré en Allemagne.
Soeur Dominique (Elena Vassilievna Vakhevtitch) transférée de la prison d'Orel en novembre 1925.
Le procès dit de la conjuration catholique contre la vie de Staline amena de nouvelles recrues à Solovki, notamment les deux protagonistes, Mlle Camilla Krouchelnitskaïa et Anna Brilliantova. Mais dès 1928 était arrivé aux îles de  la mer Blanche un "converti" atypique, le Père Patapi Emilianov.

Le Père Patapi à Solovki.

Si le groupe des soeurs dominicaines est issu de la paroisse catholique russe-orientale de Saint-Pétersbourg et de l'action de l'exarque Fedorov et des époux Abrikossov, le cas du Père Emilianov Patapi est tout à fait singulier. Ce prêtre, curé d'un gros bourg rural, Njnaïa Bogdanovka, près de Kharkov, en est venu par es études et ses recherches personnelles à la conclusion que l'Eglise catholique est la véritable Eglise du Christ. Né en 1889 dans une famille de vieux-croyants, il fut ramené à l'orthodoxie par l'évêque d'Oufa, Antoine Khrapovitski, qui sera le chef de l'Eglise russe hors frontière. Celui-ci le fit étudier à Jitomir et l'ordonna prêtre en 1911. Le Père Patapi, confia ses doutes au curé catholique de Kharkov, qui l'adressa à l'exarque Fedorov. Le 29 juin 1918, en la paroisse sainte Catherine à Petrograd, ce dernier reçut la profession de foi catholique du Père Patapi.

De retour dans sa paroisse, il entraîna dans la foi catholique ses fidèles, qui l'aimaient particulièrement pour son désintéressement et sa prédication. Ils étaient plusieurs milliers, tous grands-russiens en cette extrémité orientale de l'Ukraine. Profitant des temps troublés, ,le Père Patapi se plaça sous la juridiction de l'archevêque uni de Lvov, Mgr Szeptitski, qui l'incardina dans son diocèse le 6 octobre 1918. L'Ukraine était alors l'enjeu des luttes entre les Rouges et les Blancs. Aux yeux de ces derniers, le Père Patapi, qui avait créé une sorte de commune rurale, passa pour communiste. Arrêté et mis en prison le 30 octobre 1918, il fut libéré par les Rouges le 27 décembre 1918. Arrêté à nouveau par les Blancs le 20 août 1919, enfermé dans la prison de Lougansk; il fut de nouveau libéré au retour des communistes le 24 décembre 1919.

C'est en 1922, seulement que Neveu, dans sa solitude de Malievka, appris l'existence du Père Patapi et l'adhésion de sa paroisse à l'Eglise catholique. Il fit connaissance avec le prêtre et ses paroissiens et put en 1923-1924, lui faire parvenir les secours de la Mission pontificale d'aide, qui se trouvait à Rostov Mais, pauvre lui-même, Neveu n'a pas pur enrichir la paroisse de Nijnaïa Bogdanovka, ni acheter les consciences, comme le dira l'acte d'accusation du Père Patapi.

Quand Neveu, devenu évêque, eut pris possession de la paroisse Saint-Louis de Moscou, le 3 octobre 1926, il communiqua la nouvelle au Père Patapi et lui envoya le 8 octobre 1926, une lettre qui a été retrouvée dans le dossier du Père Patapi au Guépéou. Neveu se félicitait de la nouvelle organisation de l'Eglise catholique en Russie, devenue par la volonté du pape Pie XI complètement indépendante de la Pologne. "J'aurais ainsi la possibilité de montrer par mes actes et par mes bons services, si Dieu le veut, combien j'aime profondément la Russie et mon peuple;" Pour le moment, la vie matérielle est difficile. "Je loge auprès d'un catholique arménien dans une chambrette au quatrième étage, envahie de punaises. La nourriture est mauvaise et en un mois, j'ai beaucoup dépensé et gagné seulement 27 roubles;"

A peine informé, le Père Patapi se précipite à Moscou. Neveu lui donne tout pouvoir pour recevoir dans l'Eglise catholique de rite oriental le Moine Melchisédech, converti à l'union. L'acte qui en fait foi a été retrouvé également dans le dossier du Guépéou, mais Melchisédech a disparu pour toujours aussitôt après sa réunion à l'Eglise catholique. Neveu profita du passage du père Patapi pour lui confier les ornements épiscopaux destinés à Mgr Frison, évêque à Odessa. Ce détail aussi est consigné dans l'enquête du Gépéou.

L'Eglise synodale ou des Rénovateurs voyait également de mauvais oeil cette paroisse orthodoxe unie à l'Eglise catholique. Comme elle était l'alliée du pouvoir, elle fit arrêter le Père Patapi le 27 janvier 1927. L'accusation retint contre lui l'aide matérielle reçue de Neveu et l'agitation anti-soviétique au milieu des paysans de sa paroisse. "parmi lesquels il répandit le bruit de la chute imminente du pouvoir soviétique, accusant les communistes de n'être que des bandes de brigands. Il discréditait l'Eglise synodale des Réformateurs. Le 12 septembre 1927, le Père Patapi fut condamné par l'Oguépéou à dix années de camp à Solovkin jugement qui ne pouvait être amnisité.

Les sommes  comparées du KGB et du Vatican pour "acheter" prêtre et fidèles.

(...)

Les prisonniers de Solovki à l'île Anzer

Neveu s'efforça de secourir le Père Patapi à Solovki.  Amené à Kem sur la mer Blanche prise de glaces, le père dut attendre mai 1928 pour rejoindre Solovki. Aux îles Solovki se trouvaient Mgr Sloskans, des religieuses dominicaines et des catholiques latins. " Un mot de Solovki écrit Neveu Mme Novitskaïa est revenue. Tout le clergé catholique : un évêque et 17 prêtres de rite latin, 4 prêtres de rite oriental est interné à l'île Anzerski, site de "Golgotha" au nord de l'île très exposé aux vents, végétation naine. Dans un local étroit (grabat contre grabat, couchant à terre. 4 Prêtres orthodoxes respectueux et paisibles. Tous sauf le cuisinier et son aide, sont bûcherons, travaillent dix heures par jour. Un prêtre d'Ukraine faillit être amputé, suite à un coup de hâche à la jambe.

Les messes commencent à minuit jusqu'à 7 heures. La chapelle est un placard bas où ils célébraient à genoux. Le surveillant n'a rien vu, les orthodoxes gardent le silence. Ils ont voulu forcer le clergé à travailler le dimanche. Catholiques et Orthodoxes ont répondu ; "Fusillez-nous tout de suite, mais nous ne violerons pas le commandement de Dieu". Ils ont voulu forcer les prêtres à quitter l'habit ecclésiastique ; "Au travail, nous sommes vêtus comme les autres prisonniers, mais en cellule nous gardons la soutane."

 La situation de nombreux fidèles catholiques interné est tout à fait lamentable : plus de prêtres, ni de secours religieux. Pour secourir les malades, un prêtre se fait porter malade et confesse le vrai malade en parlant avec lui dans un corridor et lui donne la communion. Des laïcs cachent l'eucharistie parfois dans une enveloppe/ Les bolcheviques entretiennent la suspicion et la délation. Deux détenus se retrouvent ensemble, ils sont séparés. Des détenus avaient fait le projet de s'enfuir en s'emparant par surprise de deux bâtiments; les fusils firent des victimes.

(...)

Procès et dispersion des prêtres de l'île Anzer.

L'exploit des prêtres, isolés des autres déportés de Solovki à l'île d'Anzer, ne reste pas ignorée de l'administration. Eut lieu un procès "pour formation d'un groupuscule antisoviétique de prêtres se livrent à de l'agitation antisoviétique, accomplissant en secret des rites religieux et des célébrations liturgiques, et cherchant à établir une liaison illégale en vue de transmettre à l'étranger des informations à caractère d'espionnage sur la situation catholique en URSS. Patapi et d'autres se retrouvèrent sur le continent pour la construction d'une ligne de chemin de fer de Leningrad à Mourmansk. Le père Patapi y mourut. Tel fut le cas du Père Nicolas Alexandrov aumônier des dominicaines de Moscou, Mort à Medvejia Gora, de Mgr Jacques Bacardian administrateur apostolique des Arméniens, arrêté pour avoir informé le Vatican de la persécution des catholiques en URSS, envoyé à la station de Kouzema il y mourut. 

Au début des années trente, les procès contre les catholiques s'étendaient à toute la Russie d'Europe , Leningrad,Kiev, Odessa, Rostov sur le Don. Il fallait sans cesse fournir de nouvelles recrues pour les camps et le creusement des lignes du canal Mer Baltique - mer Blanche, Leningrad-Mourmansk, Moscou-Volga-Don, sans équipement adapté les détenus mouraient par milliers. 

Dans le sud de la Russie, dans l'ancien diocèse de Jitomir, existaient encore des paroisses polonaises et uniates  ; sur les bords de la mer Noire et le long de la Volga survivaient des paroisses florissantes des colonistes allemands. Les procès organisés contre eux fournissaient prêtres et fidèles aux camps. 

Les catholiques allemands de la Volga. Aventure  du Père Kappès

(...)

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La passion de l'archevêque Barthélémy

Pour lever le doute.

En 1934 fut assassiné à Leningrad Kirov, secrétaire du Parti communiste de Leningrad. Les historiens pensent que Staline fut l'instigateur de ce crime. Cet assassinat donna à Staline le motif de déclencher une terreur qui lui permit  d'éliminer par vagues successives tous ses adversaires. Outre l'assassin, un obscur membre du parti, treize complices, 114 détenus, 3.000 partisans de Zinoviev supposé être à l'origine de ce crime 50.000 suspects pour leur origine aristocratique, militaire, bourgeoise ou cléricales furent expulsés vers l'Oural et la Sibérie. " En Russie, écrit Neveu, les événements prennent une tournure tragique, il y a quantité de personnes arrêtées dans Mgr Barthélémy, mon confesseur. (...)

  Mgr Neveu et Mgr Barthélémy font connaissance.

Mgr Neveu, catholique et Mgr Barthélémy Remov orthodoxe se connaissaient et se fréquentaient depuis 1928. Ils avaient été mis en rapport par un architecte. En secret croyaient-ils. Or Mgr Barthélémy fut arrêté pendant quelques mois, après avoir été enfermé avec le fretin ordinaire, il fut mis au secret et comme livre reçut une bible hébraïque.Accusé d'avoir donné l'hospitalité à un espion. Il ne l'avait jamais vu. Son affaire n'était pas en relation avec celle de Serguieivo. Un chef communiste, divorcé eut ses vitres brisées d'un coup de revolver tiré par son ancienne femme, ce coup fut attribué aux gens d'Eglise pour les chasser tous de la Lavra et pour y mettre des purs qui volent à leur aise. Comment penser qu'à cette occasion Barthélémy ne fut pas interrogé sur ses relations avec Neveu? Il est sûr qu'il a même dû souscrire l'engagement, que l'on demandait à tous les prêtres de "collaborer" puisque par la suite, le NKVD appellera Barthélémy "notre collaborateur secret".

Mgr Neveu fut surpris de l'arrestation de Mgr Barthélémy et d'autres compagnons, catholiques comme orthodoxes. Mgr neveu écrit : " Dans la nuit du 21 au 22 février, il y eut une quantité de personnes arrêtées : Mgr Barthélémy, une demoiselle russe de 53 ans, la meilleure paroissienne de Saint-Louis Mlle Vera Werth, employée de bureau, qui consacrait tout son temps à la visite des malades catholiques et orthodoxes, pour les soigner, leur faire la lecture, les préparer à bien mourir. Tout le monde la vénère ici. Elle laisse sans ressources ses bons vieux parents. Il y a aussi une religieuse russe, catholique en secret, chez qui Mgr Barthélémy logeait et qui venait me voir souvent à Saint-Louis, Soeur Elena Rojina;"

Cette dernière est mentionnée par Neveu avec admiration dans une lettre de 1932 : " Une des filles spirituelles de Mgr Barthélémy nommée Elena est arrivée de Nijni-Gorki pour se préparer à entrer dans l'Eglise universelle. Je l'ai vue deux fois à Saint-Louis ; elle paraît bien disposée. On y aidera en douceur. Elle a un magnifique type russe des icônes de Vasnestsov, de grands yeux qui ne respirent que pureté; si je ne me trompe elle verra Dieu dans sa maison.

 

Enquête sur Mgr Barthélémy Remov. Il informe Neveu des secrets d'Etat et de l'Eglise.

Dès le lendemain de son arrestation, Mgr Barthélémy a rempli son enquête. (...)

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Petrovski Monastyr ou l'organisation monastique orthodoxe-catholique.

Une deuxième affaire concernant Mgr Barthélemy fut celle du Petrovski Monastyr (1) Elle était motivée par l'existence, sous la direction de Mgr Barthélémy

 

(1) Le monastère Petrovski est l'un des hauts lieux de la piété à Moscou, il est situé à l'ouest du Kremlin, entre la Petrovska et le boulevard Petrovski, dans la Ceinture des Jardins. La première église fut construite par Dimitri Donskoï, à son retour de la bataille de Koulikovo (1380) Pierre le Grand agrandit le monastère et y fit enterrer Ivan et Athanase Narychkine, qui avaient été massacrés pendant la révolte des streltsy en 1690.   
 
d'un couvent de moines et de moniales orthodoxes et sous la direction de Mgr Neveu d'un groupe russo-catholiques. " A la direction centrale du département de affaires politiques sont parvenues des informations selon lesquelles existe à Moscou une organisation contre-révolutionnaire russo-catholiques des gens d'Eglise, fondées sur les directives de la Commission russe auprès du Vatican par l'entremise du représentant secret de ce dernier, l'évêque catholique Eugène Neveu. (...)
Le groupe Orthodoxe constituait un véritable monastère, dont les supérieurs étaient l'évêque Barthélémy, l'archimandrite Agathon Lebedev et l'higoumène Mitrophane Tikhonov. Le dossier établit le fonctionnement de ce qui n'était ni plus ni moins qu'un noviciat fervent, où les candidats étaient formés à la prière et à l'obéissance, à la discipline et à l'ascèse. Neveu écrit souvent dans ses lettres que dans la liturgie au monastère Petrovski on priait pour l'unité et on nommait le pape, au point que Neveu redoutait même une comminicatio in sacris, une intercommunion avant la lettre.
Sur l'activité des catholiques, l'enquêteur est beaucoup plus précis. Le docteur Titov, membre du groupe a déclaré ; "je suis entré en relation avec le représentant secret du Vatican, l'évêque français Neveu en 1931. J'ai informé Neveu de l'arrestation des prêtres Vassiliev, et d'autres. En automne 1934, j'ai dit à Neveu, au sujet des kolkozes, que je ne les estimais pas rentables. Velikanov m'a dit qu'il désirait envoyer ses manuscrits antisoviétiques à l'étranger, par l'intermédiaire de Neveu.
A propos de de la reconnaissance de l'URSS en 1933, le rapport fait dire à Titov, au cours des entretiens avec des hommes d'Eglise sur les questions internationales  "A propos de la reconnaissance par les USA du gouvernement soviétique, j'ai exprimé mon indignation, car j'ai toujours admiré le courage de l'Amérique et je pensais que dans la question de la reconnaissance du pouvoir soviétique, les Etats-Unis ne devaient pas prendre le chemin de reconnaissance, mais au contraire, faire en sorte que les autres gouvernements changent leur politique envers l'URSS".
Mgr Barthélémy témoigna au sujet de Rozanov : Rozanov est lié à Neveu depuis quelques années, qu'il y avait des évêues avec le même sentiment que lui.  Barthélémy dit que Roudnev allait chez Neveu, grimé. Il est membre du Synode. Barthélémy, éminent patrologue spécialiste de Saint Augustin, inspirateur et théologien du mémorandum des évêques tikhoniens déportés à Silovski, au sujet d'un premier projet de ralliement du métropolite Serge au pouvoir communiste. Ces évêques reconnaissaient le pouvoir communiste mais sans aliénation de la liberté de l'Eglise dans son domaine spirituel. Mgr Barthélémy cite Rojina intermédiaire très dévouée entre Neveu et lui. Elle avait demandé de faire savoir au pape qu'il y avait des cellules organisée de catholiques à Moscou Parmi les griefs reprochés à Neveu il y avait le soutien matériel au groupe et le fourniture de littérature religieuse.
(Interrogatoire de Rojina ...)
(Condamnation des membres du groupe catholique ...)

Recherche et soucis de Mgr neveu au sujet des prisonniers.

Neveu et les familles des prisonniers et prisonnières étaient dans l'angoisse sur leur sort. Les détenus sont au secret, personne ne peut les voir et seules les familles peuvent déposer inq roubles aux greffes. Neveu passe devant les fenêtres fermées sachant qu'y si cachent des prisonniers pour leur foi. Neveu se rend chez Barthélémy où la bonne raconte qu'une quantité de lettres que recevait l'évêque pour du secours. Mgr Barthélémy est mort à Boutyrki. Mort pour sa foi à l'union. 

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La constellation Neveu-Remov

Mgr Barthélémy a nommé de nombreuses personnes dont Alexandre Roumiantsev, ingénieur architecte proche de l'union. Roumantsiev était dirigé par Barthélémy qui lui avait donné son sentiment pro romain. Il l'ordonna prêtre. Il fut arrêté. Quelqu'un avait parlé. Rozanov se présenta à Neveu à l'église. Disant qu'il y avaient cinq évêques avec lui. Provocation? Les communistes sur l'initiative de Staline avaient démoli l'église du Sauveur

Du 12 au 15 mais 1935 Pierre Laval était venu à Moscou pour confirmer le pacte d'assistance  mutuelle entre le France et l'URSS Laval a perlé de la situation religieuse en URSS Il dit à Staline qu'il serait bien avantageux à tout le monde sit l'Etat Soviétique consentait à discuter avec le Vatican, Staline ne voulu pas comprendre "J'aime mieux m'entendre avec des puissances qui ont des soldats Romain Rolland vint en URSS. Staline lui dit que faire exécuter et une chose sale ." On lui a répété que la religion est libre en URSS.

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La grande terreur de 1937

En 1937, une folie meurtrière s'est emparée de Staline et de Ejov,commissaire de la sécurité. Ordre était donné d'arrêter les anciens détenus, ministres du culte et koulaks afin de fusiller immédiatement les éléments les plus nuisibles au rythme de 300-400 par jours. Les secrétaires du Parti suppliaient Staline d'augmenter leur nombre. A Omsk 3.000 étaient prévus, le secrétaire demanda 8.000. Bon nombre de prêtres à Solovki furent exécutés. 

Droit au travail pour qui renonce au ministère :

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Le Père Jean Nicolas "onze ans au paradis"

Le Père Jean Nicolas rêvait de la Russie. Né à Morlaix en 1901, études à Louvain,, service militaire à Constantinople, ordonné en 1930, envoyé en Roumanie comme directeur d'internat. La Roumanie fut occupée par les soviétiques. Le Père Nicolas restaura l'église française Saint-Pierre Arrêté interrogé à la Loubianka sur le Vatican et l'uRSS envoyé à Boutyrki.

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Le calvaire de Mme Ott et de sa fille Alice Ott


Alice Lapierre est née à Moscou en 1896, de parents français, lyonnais, responsables d'une société la KAMA. En 1907, elle épouse M. Albert OTT, alsacien d'origine, sujet russe par sa naissance en 1881, ingénieur, puis professeur d'hydrologie à l'Ecole des Ingénieurs. En 1912, naît leur fille Alice, un deuxième enfant, Louis, meurt en 1919 faute de médicaments qui auraient pu le sauver. Quant l'abbé Vidal doit quitter la paroisse avec la colonie française, en 1920, il confie à Mme Ott la responsabilité de l'église Saint-Louis-des-Français. En l'absence de prêtres, elle demandait au doyen Zelinski de l'église voisine polonaise des Saints-Pierre-et-Paul des prêtres pour assurer la messe du dimanche. L'abbé Sloskans venait souvent, mais Zelinski aurait bien voulu faire de Saint-Louis une église polonaise. Mme Ott en gardait jalousement les clés.

De 1920 à 1925, jusqu'à l'arrivée de M.Herbette, premier ambassadeur de la République française auprès de l'URSS, Mme Ott était en quelque sorte le représentant officieux des Français restés en Union Soviétique. Edouard Herriot, qui fit en 1922 son premier voyage en Russie à titre personnel, l'avait confirmée dans cette mission qui consistait à distribuer aux Français nécessiteux les secours envoyés par le gouvernement français, via son ambassade en Pologne, à la légation polonaise à Moscou.  Quand M. Herbette arriva à Moscou le 5 janvier 1925, il prit naturellement contact avec Mme Ott et en 1926 l'engagea comme employée soviétique à l'ambassade de France.

Mgr d'Herbigny, qui fit un premier voyage d'inspection en octobre 1935 à l'occasion du Concile des Rénovateurs, apprécia le dévouement et le savoir faire de Mme Ott. En 1926, Mgr Neveu en même temps qu'administrateur de Moscou, était nommé curé de Saint-Louis. Les rapports entre le prêtre, responsable de sa paroisse devant Dieu, et Mme Ott, responsable de l'église devant l'Etat, n'étaient pas toujours faciles. Dans ses lettres, Neveu l'appelle parfois "la colonelle". C'était une femme qui en imposait par son autorité. Elle connaissait les pièges de la législation soviétique sur les cultes et, protégée par l'ambassade de France, elle a sauvé, dans les circonstances les plus critiques, l'église Saint-Louis-des-Français.

En 1937, le 5 mars, M.Albert Ott, son mari, fut arrêté dans la rue. Quand la police, vers 22 h, vint perquisitionner la maison, Mme Ott et sa fille comprirent qu'il était arrêté. Condamné à huit ans d'ITL, il est mort à Vladivostok, peu après son arrivée dans le camp de transit, le 16 janvier 1938 dit le document de réhabilitation. Pendant la grande guerre patriotique les deux Alice Ott, mère et fille, sont restées à Moscou, apportant aide et soutien au Père Braun qui, depuis août 1936 assurait le service paroissial, après le départ de Mgr Neveu, car celui-ci, auquel on avait promis à Moscou que le visa de retour lui serait donné à Paris, ne peut jamais rentrer en Russie.

L'arrestation de Mme Ott et de sa fille - Perquisition.

La perquisition de l'appartement 35 de l'immeuble 1a de la rue Tchaplyguine eut lieu le soir du 6 décembre 1947 en l'absence de ses deux occupantes. Assistaient le responsable de l'immeuble, Birger Moiseï Pankousivitch, et la concierge, Anna Ivanova Ivanovna. Après la saisie des documents, les scellés furent apposés aux deux chambres. Les canaris et le chien furent confiés provisoirement à la garde du portier, auquel on donna également les trois pains blancs, 7,2 kilos de pommes de terre et 3 kilos de gruau trouvés à la cuisine.

Dans le premier temps, la nuit tombée, la mère et la fille étaient arrêtées dans la rue par les agents du MGB. C'était un samedi entre 18 et 19 h. Cet après-midi de samedi les deux femmes ne travaillaient pas à l'ambassade. Sans doute se trouvaient-elles à l'église pour préparer la messe. D'ordinaire, elles y allaient ensemble et de là 12 rue de la Petite Loubianka, elles s'en retournaient à pied chez elles, la rue Tchaplyguine, profitant de ce chemin pour faire leurs courses. Il en alla autrement ce soir-là. Le NKVD expert en la matière, savait parfaitement où elles étaient l'une et l'autre et qu'il serait loisible de les arrêter séparément sans faire d'esclandre public.

Il faisait froid ce 6 décembre 1947 et les deux employées étaient chaudement vêtues. De chez elles, elles ne pourront rien emporter et personne ne pourra jamais rien leur apporter, ni vêtement ni argent.

Elles étaient arrivée séparément à la prison de la Loubianka, vers 21 h. Le questionnaire concernant l'une et l'autre fut rempli par la même personne. A la question : "Condamnations antérieures, il mentionne pour Alice Ott fille "Du 6 juillet 1941 au 4 septembre 1941 a été sous enquête du NKVD à la prison de Boutyrki. " Furent alors faites les tristes photographies de prison, face et profil et prises les empreintes digitales;Nous ne savons rien sur les conditions de détention à la Loubianka. Elles n'apprendront que plus tard me déroulement des interrogatoires qu'elles étaient arrêtée toutes les deux et se trouvaient l'une et l'autre dans la même prison, tout près de Saint-Louis. Elle ne se reverront que dix ans plus tard. Comme les cloches de l'église sonnaient le dimanche, elles auraient pu en conclure qu'elles étaient enfermées à la Loubianka. Mais il y avait bien là des cellules insonorisées dans les caves profondes de l'établissement

Les motifs sont, pour l'arrestation de Me Ott

1. Les informations donnée à la Préfecture de police à Paris en 1927 sur les dispositions sur les dispositions politique des Français vivant en URSS ; 

2. Une adresse envoyée au Vatican en 136, calomnieuse pur l'URSS.

3 Espionnage au profit de l'ambassade de France.

Pour l'arrestation d'Alice Ott : espionnage et dispositions hostiles envers l'URSS.

Pourquoi Mme Ott et sa fille on été arrêtée?

1947 marque le commencement de la guerre froide entre les deux blocs. Dès mai 1946, Churchill avait dit : "Un rideau de fer s'est abattu sur l'Europe. " En mai 1947 paraît en France le livre accusateur de Victor Kravtchenko : "J'ai choisi la liberté. "  En automne 1947, des grèves très dures avaient conduit à l'arrestation d'agents soviétiques en France. Mesure de rétorsion donc et première opération de guerre froide? Le 6 décembre furent arrêtée à Leningrad Mme Bovard ; à Lvov Mme Vassaux-Sommer, d'autres à Riga. Mais ces femmes étaient française et seront expulsées d'URSS et refoulée vers le secteur français de Berlin.

Les alliés s'étaient engagés à livrer à l'URSS, ses ressortissants, prisonniers de guerre dans leurs zones respectives. Plus de deux millions furent ainsi remis au NKVD dont la plupart seront condamnés au camps pour trahison. 1024811 furent livrés par la France : prisonniers des Allemands, militaires russes qui avaient suivi le général Vlassov, travailleurs forcés. Comme la mission de rapatriement soviétique avait enlevé des transfuges jusque sur le territoire français, le gouvernement fit investir, le 14 décembre 1947, le camp de Beauregard, affecté à la mission russe de rapatriement.Ce climat de guerre froide ne pouvait qu'envenimer l'atmosphère du procès de Mme Ott et de sa fille et rendre impossible toute tentative de l'ambassade de France de leur venir en aide.

Mme Ott et sa fille ne se sont jamais rencontrées. Seul, le "professeur" Baskarev funt confronté à l'une et à l'autres. Mme Ott fut transférée et de Lefortovo à la Loubianka.

Premier interrogatoire : qui connaissez-vous?

Dans sa lettre qu'elle enverra plus tard du camp de Mordovie à Molotov, Mme Ott dit qu'elle a comparu devant Abakoumov, bras droit de Staline, ministre de la Sécurité qui la menaça ; "Si vous ne vous reconnaissez pas coupable d'espionnage, nous arrêterons votre fille.". Sur son refus, il donna l'ordre d'arrêter sa fille, coupable en rien. Sans doute, fit-on croire à Mme Ott qu'elle avait affaire à Abkoumov. Arrêtée le soir du 6 décembre 1947, Alice Ott  fut interrogée jusqu'à minuit quarante.(...)

Mme Ott responsable des Français jusqu'en 1925.

On demanda à Mme Ott comment et pourquoi l'abbé Vidal, curé de Saint-Louis-des-Français, lui a confié, lors de l'expulsion de la colonie française de Moscou en 1920, la charge de l'église : sans doute parce qu'elle était assidue aux offices et que, du fait de l'aisance familiale - M. Ott était professeur de l'Institut universitaire d'hydraulique  - elle avait le temps de s'occuper de l'église. Elle expliqua qu'à défaut de prêtres français, elle fit appel aux prêtres polono-russes de l'église Saints-Pierre-et-Paul pour assurer la messe dominicale.

Mme Ott se trouvait chargée, à cette époque troublée, de l'assistance aux Français nécessiteux pour enseigner le français aux enfants des familles de la noblesse russe et qui, après le départ de celles-ci, restaient sans travail. M. Herriot , venu en Russie en 1922, la confirma dans cette mission. - Mais d'où venait l'argent? - - Par l'ambassade de Pologne et les services consulaires. Cette fonction prit fin quand la France reprit les relations diplomatiques et que M.Herbette arriva comme ambassadeur. (...)

Albert Ott fut arrêté en 1938 et mourut du typhus.

-Avez-vous parlé de la mort de votre mari à l'ambassade? -

- Oui, au conseiller Payart et à d'autres. A l'église fut célébrée une messe de requiem. 

- Quelles sortes de renseignements sur l'Union soviétique donniez-vous aux Français? 

- Je ne l'ai pas fait;

- C'est en vain que vous niez d'avoir transmis ces informations.

Le témoignage et le sort d'Albert Ott

Arrêté après son travail, M Ott déclara que lui-même et sa femme étaient engagés par M Herbette pour faire de l'espionnage.

En 1930, s'est déroulé à Moscou le procès du prompartia, le parti des ingénieurs industriels qui auraient saboté la production industrielle de la Russie. La France semblait compromise et même l'ambassadeur Son prétendu aveu avait été extorqué par la violence physique ou morale.  Une lettre qu'il a écrite et jetée du train qui le transportait à Moscou.  Il écrit qu'il est condamné pour soupçon d'espionnage pour huit ans de camp. J'ai été contraint de faire une telle déposition dans la prison de Lefortovo.  

10

Le procès d'Alice Ott, fille de Mme Ott

Mlle Alice Ott fut arrêtée le samedi soir 6 décembre après 19 heures sur son chemin de travail.

Interrogée dès la nuit de 2 h 45 à 5. 30

Son interogatoire porte sur ses voyages à Leningrad et sur ses connaissances à Moscou. En 1944 arriva à Moscou la mission Schmittlioen chargée de rechercher les Français en URSS. 

En 1948 on présenta une première fois Baskarev à Alice. On la questionna sur la "vingtaine" de personnes responsables de l'église  devant la Marie de Moscou. Baskare prétendit qu'Alice avait dit qu'elle était hostile au pouvoir soviétique.

Alice fut internée à l'hôpital psychiatrique de Serbski.

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En Mordovie, réhabiliation d'Albert Ott et de Mme Ott. Retour en France des  deux OTT.

Le juge d'instruction avait demandé que Mme Ott purge quinze ans d'ITL en Mordovie. Le Métropolite Slipyi se trouait dans ce camp. La France réagit positivement. C'est la mort de Staline qui permit la réhabilitation de la famille Ott. ² 

  

 

  

 

   

 

 

 

       

   

    

 

 

 
 
 
 
 
 
  
 

  

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  (1946) ; sur le 



23/01/2017
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