Léonide Féodorof: le chemin parcouru

Le chemin parcouru

Informée du décès de l'exarque, la police soviétique vint saisir tous les écrits qu'il avait rédigés au cours des derniers mois. Du 7 au 10 mars, le corps du défunt resta exposé dans un coin de l'isba. Au dehors, l'hiver russe faisait encore sentir toutes ses rigueurs. Au cours d'une de ces journées, les enfants Kalinine laissèrent ouverte pendant quelques instants la porte de leur demeure. Une colombe passa aussitôt par l'ouverture, survola le corps du P.Léonide et sortit ensuite comme elle était entrée.

Surpises, les personnes venues prier autour du défunt en furent émues. Impressionnés eux aussi, les Kalinine tinrent à signaler l'incident dans le rapport qu'ils rédigèrent sur le décès.

En mars 1935, Mgr Pie Neveu envoya une dame catholique de Moscou, Mme Alexandra V.Balachoff, porter quelques secours matériels à l'exarque. Quand elle arriva à Viatka, le père avait déjà quitté ce monde mais elle put ainsi recueillir sur ses dernirs instants les détails qu'on a lu.

 

Tous les proches collaborateurs de l'exarque ont connu comme lui soit l'exil, soit les prisons et les camps de déportation. Après son arrestation en 1923, le P.Alexis Zertchaninoff, âgé de 75 ans fut néanmoins déporté à Tobolsk. Il y fut mal accueilli par les catholiques d'origine polonaise établis dans la ville mais eut la joie d'y baptiser en secret des pêrcheurs sibériens encore païens que des dominicaines de Mme Abrikosoff, déportées au nord de Tobolsk, sur lers bords de l'Obi, avaient amenés au Christ. Le père mourut à Gorki le 23 septembre 1933 dans la maison d'un de ses fils, alors qu'il était sur le chemin du retour vers Léningrad. Il avait 85 ans.

Condamné à dix ans de travaux forcés, le P.Jean Deibner s'éteignit en 1936 à Vesegonsk dans des circonstances obscures. Il semble qu'il ait été blessé à mort par un compagnon de captivité.

Les deux autres prêtres qui assistèrent l'exarque en 1917, les pères Gleb Verkovsky et Diodore Kolpinsky, quittèrent la Russie au cours des années de la grande famine et moururent en émigration.

Le P. Potapii Emelianoff succomba aux mauvais traitements au début de 1937 à Poidvoitzi, point d'arrêt sur la ligne de chemin de fer de Léningrad à Mourmansk. Il avait 48 ans. Le P.Serge Solovioff mourut d'épuisement à Moscou. Le P.Epiphane Akouloff passa huit années en  déportation. Il fut arrêté une seconde fois en 1937, après une périiode de liberté relative, et ses traces se perdent ensuite dans l'inconnu.

Mme Catherine de Sienne, c'est-à-dire dans le monde Mme Abrikosoff, fut, arrêtée en 1923 avec la majorité de ses religieuses. Elle fut d'abord soumise à Moscou à quatre mois de réclusion solitaire et ensuite transférée dans une cellule de la même prison où se trouvait déjà un, certain nombre de ses filles. Avec certazines d'entre elles, elle fut ensuite déportée à Tobolsk. Après six ans elle fut ramenée à Yaroslav. Souffrant d'une tumeur cancereuse, elle fut en juillet 1932,  transférée à l'infirmerie de la prison de Boutyrki de Moscou. Le 12 août remise en liberté mais en août 1933 fut de nouveau arrêtée et envoyée à Yaroslav. Succomba dans une prison de Moscou en 1936 

 

Plus de 30 ans ont passé depuis la mort de l'exarque; il n'a pas été remplacé et de son exarchat il ne reste rien. Ecrit le père Mailleux, Son effort gigantesque se serait-il soldé par un échec total?

Ou plutôt l'exarque et sa petite Eglise catholique russe n'ont-ils pas été ce témoin qui vient éveiller les consciences puis se retire lorsque triomphe la vérité qu'il voulait établir?

Certes, si l'objectif du Père Féodoroff avait été de créer en Russie une communauté chrétienne nouvelle,  rivale de l'Eglise nationale orthodoxe et aspirant à la supplanter un jour, le résultat de ses efforts apparaîtrait aujourd'hui comme l'opposé d'un succès.

 Mais en fait ses vues avaient de la réalité une conception moins simpliste. Pourquoi aurait-il voulu évincer une Eglise nationale? N'était-ce pas elle, qui au cours des siècles, avait fait la Russie chrétienne?

S'il avait projeté de rivaliser avec le patriarche et avec le clergé de l'Eglise orthodoxe, pourquoi aurait-il manifesté un tel souci de les rencontrer et de conquérir leur amitié? Quand on lit ses lettres de l'époque, on le sent tressaillir de joie lorsqu'il peut écrire combien, dans la persécution, grandit le prestige du patriarche et de son clergé. Cependant en disciple de Solovioff, il ne pouvait prendre son parti de l'isolement de l'Eglise nationale russe; il aspirait à la voir établir avec l'Eglise universelle confiée à la garde du successeur de Pierre, des liens fraternels et visibles. Précurseur de l'oecuménisme, il rêvait d'une Union  par entente des hiérarchies; ses lettres et, en particulier, ses longs rapports avec Pie XI en font foi.  Mais pour que ce désir puisse devenir une réalité, il fallait  

avant tout que l'Eglise romaine qui aime à souligner sa vocation catholique, c'est-à-dire universaliste, accorde un droit de cité non seulement en droit, mais en fait aux traditions chrétiennes séculaires de la Russie au même titre qu'aux traditions latines et en pleine égalité avec elles.

Or en ce domaine, l'exarque a eu gain de cause. Quand, au début du vingtième siècle, Féodoroff se rendit à Rome pour s'y préparer au sacerdoce, il y avait certes en Russie une hiérarchie catholique et plusieurs centaines de prêtres catholiques exerçaient leur ministère dans les principaux centres de l'Empire. Cependant tous ces ecclésiastiques étaient latins et tous étaient persuadés que si la Russie était appelée à devenir un jour vraiment catholique, elle devait en fin de compte adopter les traditions liturgiques, théologiques ainsi que la discipline ecclésiastique de la Polognes, c'est-à-dire en un mot, le rite latin. Et dans beaucoup de cercles influents, à l'ombre du Vatican on pensait de même. Si quelqu'un s'avisait d'invoquer pour la défense des traditions russes l'encyclique "Orientalum dignitas" de Léon XIII, on lui répondait que la Russie n'avait jamais été catholique et que dès lors, cette encyclique ne la concernait pas. A ce point de vue, l'attitude du recteur de la Propagande est révélatrice. Quand en 1908, Léonide Féodoroff, dut quitter le séminaire, quelques mois avant la fin de ses études sacerdotales, le recteur écrivit une lettre au cardinal Gotti pour l'informer du départ de son élève. Il le dépeint comme un jeune homme de caractère inquiet et orgueilleux et il ajoute en conclusion :" Je crois qu'il faut remercfier le Seigneur de ce que ce jeune homme s'en soit allé en paix ! "  Ona peine à croire à pareille myopie! Léonide avait quitté sa mère veuve et s'était exilé volontairement pour devenir catholique; pendant les huit mois de son séjour à la Propagande, il avait remué le ciel et la terre pour maintenir dans l'obédience romain e les Orientaux d'Amérique; il portait en lui - l'avenir le montrerait l'étoffe d'un  ardent apôtre et d'un martyr, mais le recteur ne voit en lui qu'un "fanatique du rite grec".  Quand ce jeune russe, candidat au sacerdoce catholique, le seul que compât alors l'Eglise, lui dit adieu, il estime devoir remercier le Seigneur.    

Assurément, il y avait déjà à cette époque quelques communautés orientales en communion avec l'Eglise romaine, mais elles avaient été plus ou moins latinisées. On ne pouvait guère en faire état pour prouver que l'Eglise romaine protégeait les rites de l'Orient et plaçait sur pied d'égalité toutes les traditions authentiquement chrétiennes.

Mais depuis les choses ont changé. La naissance au sein de l'Eglise d'une communauté qui voulût user de son droit de rester pleinement russe a forcé l'Eglise romaine à prendre davantage conscience de sa vocation universaliste. Les lettres de l'exarque, les rapports du métropolite Cheptizky, le P.Walsh et d'autres personnalités revenues de Moscou apportèrent à Rome, y firent comprendre que la Russie avait un précieux patrimoine chrétien  qu'il fallait conserver jalousement. Aussi, quand,  pour remplacer ses séminaires russes fermés par les Soviets, le Saint-Siège en ouvrit un à Lille puis à Rome, voulut-il que les candidats au sacerdoce y soient désormais formés selon les traditions et le rite propres à la Russie maintenus dans toute leur pureté. Les centres pastoraux et les internats catholiques ouverts pour les russes de l'émigration furent organisés dans le même esprit.

220px-Russicum.jpg

 

Russicum à Rome (voir l'article de Wikipedia sur le blog)

 

Il est manifeste que l'attitude du Saint-Siège envers l'Eglise russe, depuis l'élection du pape Jean XXIII, prend de plus en plus l'orientation que l'exarque avait intensément souhaitée. Quand en 1922, Benoît XV reçut un e lettre autographe du patriarche Tikhon pour demander son aide en faveur des affamés, le pape - à la grande douleur des catholiques de Moscou - fit répondre par son secrétaire d'Etat. Mais depuis lors la mentalité romaine a évolué.

Sans l'histoi!re récente de la Russie, il est une coïncidence qu'il est impossible de ne pas remarquer. Au cours des fêtes de Pâques 1917, deux hommes rentrèrent à Pétrograd après de longues années d'exil. Le premier y arriva le samedi saint le 1er avril, juste à temps pour célébrer avec ses compatriotes la fête de l'espérance chrétienne; c'était l'exarque Féodoroff. Le second arriva le lendemain de la fête le 3 avril, c'était Vladimir Oulianoff, dit Lénine. Le premier avait regagné sa patrie dès qu'elle avait connu les affres de la guerre mais il avait été envoyé en Sibérie. Le second était demeuré caché en Suisse pendant les combats; il rentrait soutenu par l'ennemi. Tous deux apportaient à la Russie un programme universaliste. Lénine voulait en faire le centre de l'Internationale communiste; Féodoroff, lui, venait le presser d'entrer plus pleinement en communion avec la chrétienté universelle. La Russie n'a pas eu le temps de faire un choix; profitant de l'épuisement du pays après une lon gue guerre, Lénine et son parti ont saisi le pouvoir et ils l'ont conservé par la force. Pendant un demi-siècle déjà, ils ont tenu la Russie à l'écart du reste du monde.

    

Mais depuis cela a évolué Est-ce dans le sens que désirait l'Exarque?


 



28/09/2013
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