Léonide Féodoroff: Double arrestation; le procès*******

Entre Rome et Moscou pages 126 et svt

Double arrestation ; le procès

 

A la fin de 1922 dans les milieux ecclésiastiques de Russie personne ne se faisait illusion ; on était à la veille d'une persécution religieuse violente. Le gouvernement soviétique avait en particulier clairement manifesté à diverses reprises l'intention de dépouiller les églises de leurs vases sacrés et de leurs autres objets précieux. Il fallait donc tâcher d'éviter les profanations. Pour cette raison et parce qu'il fallait s'attendre à une fermeture au moins temporaire des lieux de culte, les paroisses catholiques avaient pris soin de cacher en lieu sûr des calices et tout ce qui serait nécessaire pour célébrer les offices au besoin en dehors des églises.

A  la rue Barmalaieva, nous a raconté Mlle Danzas nous n'avions laissé à l'église que le strict nécessaire. Nous avions caché le reste en partie chez Mme Deibner et en partie chez moi. Il était vraisemblable qu'en cas de perquisition on fouillerait avant tout l'appartement de Mgr Féodoroff puis celui de Mme Deibner à cause de sa proximité de l'église; l'endroit le plus sûr semblait donc être le petit logement que j'occupais, au-dessus de celui de Féodoroff. C'est là que nous avions préparé un petit autel et tout le nécessaire."

La dernière liturgie solennelle fut célébrée à l'église de la Barmalaieva le 21 novembre 1922 pour la fête de l'Isodos (Entrée au Temple de la Mère de Dieu ) . Le lendemain, après la liturgie célébrée comme d'habitude, à 7 heures du matin, sans solennité particulière, la police vint arrêter l'exarque.

J'étais rentrée chez moi pour quelques instants et, à 8 heures, je sortais comme d'habitude pour aller à mon service à la Bibliothèque publique, raconte Danzas, quand au tournant de la rue, j'aperçus Féodoroff entre deux militaires. Ils le conduisaient vers le commissariat du quartier. Je parvins à devancer le groupe par un détour de la rue de manière à me trouver en face du père. En m'apercevant, il m'indiqua des yeux la direction de l'église et murmura comme s'il parlait à lui-même "Sanctissimum"

Ses gardes n'y comprirent rien. Danzas saisit aussitôt la pensée de l'exarque; il redoutait que les policiers ne profanent la sainte réserve eucharistique conservée sur l'autel dans un petit ciboire. Il fallait faire vite. Danzas monta à l'église, fit devant l'autel la grande prostration d'usage, enleva le voile de soie qui recouvrait le petit lutrin placé à côté de l'autel, ouvrit le tabernacle et en retira le petit coffret qui contenait le saint sacrement. Elle plaça le coffret dans l'antimension, et l'enroula dans le voile de soie. Cachant le tout  dans son manteau, elle sortit ensuite de l'église par une porte dissimulée derrière une armoire. Les policiers ne la virent pas et ne remarquèrent pas davantage la porte par laquelle elle se glissait au dehors.

Au commissariat , l'interrogatoire fut assez bref. L'exarque fut remis en liberté sous caution avec défense formelle de quitter la ville. La police vint apposer les scellés sur la porte de l'église.

Après avoir erré quelque temps dans les rues voisines en se demandant dans quelle autre église catholique elle pourrait bien porter les saints dons, Danzas résolut d'aller voir tout d'abord ce qui se passait dans l'appartement de l'exarque. Celui-ci venait d'être relâché. Il rencontra Danzas dans la cour de l'immeuble, rentra chez lui, consomma les saints dons et resta longtemps en prière.

Les policiers n'avaient pas apposé les scellés sur la porte secondaire de l'église qu'ils n'avaient pas remarquée; il devint néanmoins pratiquement impossible d'y célébrer les offices. Danzas mit donc son salon à la disposition de la paroisse. On y éleva un petit autel que cachait un paravent, une fois les offices terminés. Durant les premiers jours qui suivirent, la célébration se fit de la manière la plus discrète possible pour une assistance très réduite. La veille de la Noël de cette année 1922, on s'enhardit à chanter à mi-voix l'office du soir. Tout se passa sans incident. A partir de ce moment, on décida de célébrer de la même manière les offices du dimanche et des fête. Il y eut hélas un voisin pour dénoncer la petite communauté. Le 6 janvier, fête de la Théophanie les fidèles venaient de communier et l'exarque terminait la divine liturgie lorsque retentit soudain un coup de sonnette d'une violence inouïe. Les habitués comprirent: c'était la police ! Danzas ouvrit; quatre policiers entrèrent.

- Que se passe-t-il ici? Demandèrent-ils.

Impossible de cacher la réalité. Tout parle ; encens, cierges, icônes, un prêtre en ornements...

- Nous prions, camarades, répondit Danzas.
- Comment cela?
- Mais tout est en règle. Nous observons la loi Nous sommes moins de vingt personnes. Il n'y a pas de mineurs parmi nous...

Les policiers restèrent sur place pendant quelques instants puis se retirèrent en grommelant des invectives contre les ruses des "popes".

Les offices reprirent pour quelques semaines encore dans une atmosphère  et un recueillement des catacombes. Ceux qui y prirent part n'en perdirent jamais le souvenir.  

Le soir, avant de rentrer chez lui, Féodoroff, aimait à aller s'agenouiller devant son petit autel de fortune. Il y restait seul en prière parfois pendant plusieurs heures consécutives ;

Quand je me sens accablé, avoua-t-il un jour,  la joie la plus grande que le Seigneur puisse m'accorder c'est d'aller devant l'autel, d'y poser le front, d'y sentir la présence de l'unique réalité. Non seulement le calme revient mais le corps semble s'anéantir ; la seule vie réelle commence, celle de l'impondérable."

Pendant toute cette période, des tractations   se poursuivaient entre l'archevêque Ciéplak  et le gouvernement soviétique au sujet des biens de l'Eglise catholique. Les Soviets exigeaient qu'à l'avenir ces biens soient gérés intégralement par des comités de laïcs, sous le contrôle de l'Etat. Le Saint-Siège avait refusé: l'archevêque s'efforçait de trouver un compromis. .. Sans attendre, les Soviets avaient fermé et scellé les églises catholiques de rite latin à Petrograd et les fidèles de la ville  se trouvèrent privés de leurs églises pour la fête de Noël 1922.

Un mois plus tard, début février 1923, l'évêque latin Mgr Ciéplak , l'exarque et 13 curés de paroisses catholiques de Petrograd, reçurent l'ordre de gagner Moscou pour y comparaître devant la haute cour révolutionnaire. Ils étaient accusés de multiples infractions aux lois soviétiques. Féodoroff en particulier, était inculpé d'avoir résisté au décret dépouillant les églises de leurs vases sacrés, d'avoir entretenu des relations criminelles avec l'étranger, d'avoir enseigné la religion à des mineurs et enfin de s'être livré à la propagande contre-révolutionnaire. Quelques uns des autres prêtres se voyaient en outre accusés d'espionnage en faveur des puissances étrangères, c'est-à-dire de la Pologne.

La police décida d'éviter cette fois des arrestations trop spectaculaires. Elle enjoignit aux prêtres de partir ensemble, le même soir. Chacun devait prendre son billet à ses frais; deux compartiments leur étaient réservés dans le même train.    

Les prêtres se mirent en route la nuit du 2 au 3 mars. Tous les catholiques de Petrograd qui le purent vinrent à la gare faire leurs adieux à leurs pasteurs. Ce fut une manifestation grandiose et profondément émouvante, Mgr Ciéplak avait  fait demander avec insistance par ses  prêtres à tous les fidèles d'éviter rigoureusement tout geste qui eût pu provoquer du désordre et entraîner l'intervention de la force armée qui encerclait la gare du pays.   Les Polonais n'ont jamais manqué de courage ni d'attachement à leurs prêtres. Comme ils constituaient la grosse majorité de cette foule nombreuse et indignée, une étincelle eût suffi à mettre le feu aux poudres et à provoquer et à provoquer une échauffourée avec les soldats mais les recommandations de l'Archevêque furent finalement observées. Quand le train se mit en branle, Mgr Ciéplak et les autres prêtres, debout aux fenêtres, bénirent leur fidèles et la foule qui, jusqu'à ce moment, se tenait rangée en silence sur le quai, entonna le "Sub tuum praesidium" - "Nous nous plaçons sous votre garde, Vierge Marie, "   Elle ne cessa de chanter que lorsque les lumières du train furent évanouies dans l'obscurité de la nuit.

Mémoires de Mlle Danzas cité par oc p128   

 Les prêtres n'arrivèrent à Moscou que le surlendemain 5 mars. Les ecclésiastiques d'origine polonaise furent autorisés à prendre logement au presbytère de l'église latine des SS Pierre-et-Paul ; l'exarque séjourna seul chez des amis. Le samedi 10 mars, à 18.30 h , tandis que l'archevêque et ses prêtres prenaient leur repas, le presbytère fut encerclé par l'armée; les prêtres furent chargés sur un camion ouvert, entourés de soldats et promenés d'une manière injurieuse à travers les principales rues de Moscou  jusqu'à un immeuble du gouvernement situé au 6 du boulevard Pretchistenky. A minuit, l'exarque fut à son tour mis aux arrêts et conduit auprès des prêtres latins. Les prêtres furent maintenus  dans deux pièces de l'immeuble et contraints de dormir les uns sur des chaises, les autres sur des planches. Deux jours plus tard, à 2.30 h de l'après-midi, ils furent de nouveau transportés à travers la ville  et transférés à la prison Boutyrka . Le P. Walsh qui suivait assidûment leurs déplacements pris à cœur de leur faire parvenir chaque fois un peu de nourriture de la part de la Mission Pontificale toujours en pleine activité en Russie.

Dès que le Saint-Siège fut informé  de l'arrestation de l'Archevêque et de ses prêtres, le cardinal Gasparri, secrétaire d'Etat,  fit une démarche pressante auprès de M.Vorovsky, chef de la Mission Soviétique à Rome,  mais celui-ci se contenta de l'assurer de ce que la vie d'aucun des accusés n'était en danger. L'archevêque anglican de Cantorbéry, l'archevêque luthérien d'Upsala, le Cardinal Mercier de Malines, une des personnalités les plus respectée d'Europe, de nombreux gouvernements, intervinrent à leur tour mais sans obtenir de résultats positifs. Le procès commença le 21 mars et se prolongea pendant cinq jours. Les séances se tinrent dans une salle de danse de l'ancien club des nobles appelée "la chambre bleue" à cause de la couleur de ses murs. Le P.Walsh les suivit toutes aidé d'un sténographe russe. Les accusés étaient au nombre de seize: l'archevêque, Mgr Ciéplak,; l'Exarque Léonide; treize prêtres et un laïc. Il n'y avait pas de jury; la sentence était prononcée par trois juges, tous les trois communistes; le premier, un certain Galkine, était un prêtre apostat; le second était un ouvrier; le troisième, un paysan. Seize soldats, baïonnette au canon, un par accusé, montaient la garde.

L'exarque, observe le capitaine anglais Françis McCullagh, qui suivit le procès au titre de journaliste, était, à plusieurs points de vue, la figure la plus marquante du tribunal. Bel homme, solidement bâti, à la fleur de l'âge, au visage vigoureux et aimable, il faisait songer au Christ des peintures. Il présentait un de ces types d'hommes que l'on rencontre souvent parmi les paysans russes. Avec de longs cheveux noirs, une barbe majestueuse et la soutane ample des ecclésiastiques russes, il formait un contraste frappant avec les prêtres de rite romain rasés, aux soutanes ajustées, aux cheveux coupés ras. Il proclama qu'il était fils de cuisinier et petit-fils d'un serf et cependant tout son comportement fut aussi majestueux que s'il était né dans la pourpre.        

Le chef d'accusation était triple; les prêtres avaient donné l'instruction religieuse à des enfants; ils avaient refusé de livrer les biens de l'Eglise. Ils avaient continué à célébrer les offices après la fermeture des églises. La lecture de tous ces griefs dura exactement une heure.

On lit en note: Le Procès de Moscou a été rapporté en détail dans diverses publications ; New York Herald du 6 avril 1923: Civiltà Catolica, juillet 1923 et surtout Fr.McCulliagh The Bolshevok Persecution of Cristianity London 1924

Dès le début, le procureur Krylenko , un communiste extrémiste, ne put cacher sa haine;

Vous tenez à votre religion, dit-il avec sarcasme aux accusés. Eh bien alors, portez votre croix. Et un peu après :" je crache sur votre religion comme je crache sur toutes les religions; orthodoxes, juive, musulmane, luthérienne  et le reste. Oui comme Féodoroff l'a déclaré avec toute la ruse d'un jésuite, nous accordons la personnalité civile aux clubs de football mais nous la refusons à l'Eglise. 

 Dès le second jour, l'exarque fut pris à partie par Krylenko à propos de la livraison des biens d'Eglise.

Krylenko à l'exarque ; Vous avez refusé de signer l'accord remettant les biens de l'Eglise au gouvernement.
Féodoroff; oui
Krylenko : Vous considérez que vous n'êtes pas obligé d'exécuter les lois.
Féodoroff; J'exécute les lois soviétiques dans la mesure où elles ne vont pas contre ma conscience.
Krylenko (avec colère et suffisance) Laissez donc votre conscience en paix ! Je vous le demande en termes clairs ; Obéissez-vous au gouvernement soviétique ou non?
Féodoroff: Si le gouvernement soviétique me demande d'agir contre ma conscience, je n'obéis pas. En ce qui concerne l'enseignement du catéchisme, la doctrine de l'Eglise catholique est que les enfants doivent recevoir une instruction religieuse, quoiqu'en dise la loi. La conscience est au-dessus de la loi. Une loi qui va contre les consciences ne peut obliger
Krylenko: Ah !
Le juge Galkin (fâché); Nous ne voulons plus rien entendre à propos de votre conscience. Votre conscience ne nous intéresse pas.
Féodoroff; Quant à moi, elle m'intéresse beaucoup.

Après avoir interrogé les autres prêtres, sur le même point, Krylenko revint à la charge;

Féodoroff, vous avez célébré la liturgie après la fermeture des églises.
Féodoroff; oui
Krylenko ; où?
Féodoroff; dans un appartement de la maison où je réside.
Krylenko: Combien de personnes étaient présentes?
Féodoroff; De 20 à 25

L'interrogatoire de l'archevêque Ciéplak ne commença que le second jour, à 11 h du soir.

Ce détail à lui seul suffirait à montrer quel méprisable personnage était le procureur Krylenko ; il commençait à onze heures de la nuit l'interrogatoire d'un vénérable ecclésiastique usé par l'âge, il allait avoir 70 ans, et épuisé par deux journées de continuelles tensions.

Le troisième jour, le procureur prit de nouveau l'exarque à partie et l'interrogea sur ses origines. les endroits où il avait fait ses études, les différents rites dans l'Eglise catholique. Il lui reprocha en particulier d'avoir rédigé avec un prêtre orthodoxe le père Kouznetzofff , condamné et fusillé depuis, un mémorandum sur "la séparation de l'Eglise et de l'Etat dans la Russie  bolchevique ". L'exarque confirme et ajoute ;

En ce qui concerne l'organisation de comités orthodoxes  en conjonction avec les Catholiques, j'ai poussé l'affaire autant que j'ai pu mais j'ai échoué, je ne sais pourquoi.    

Le quatrième jour, dans un long réquisitoire, le citoyen Krylenko s'en prit de nouveau tout particulièrement à l'exarque:

Passons au citoyen Féodoroff. C'est un homme remarquable. Ses qualités humaines permettent de le comparer au citoyen Budkiewicz, mais en sérieux et en intelligence, il lui est bien supérieur. Budkiewicz a un comportement jésuitique; il calcule et il est fin.  Féodoroff, lui, est direct dans ses relations. Et ses relations ne doivent pas être expliquées par le fanatisme seulement. C'est lui qui à l'origine des réunions avec le clergé orthodoxe. C'est lui qui a élaborer le projet de coordonner toutes ces organisations contre-révolutionnaires contre les lois soviétiques. A titre de mesure préventive, il faut lui ôter tout pouvoir de nuire. Il doit être jugé non seulement pour ce qu'il a fait mais pour ce qu'il peut faire.  
 
 

A la fin de son discours, Krylenko,  demanda la peine de mort, à titre d'exemple contre les deux  ecclésiastiques  les plus en vue, c'est-à-dire l'archevêque Ciéplak et Mgr Budkiewicz. Son réquisitoire terminé, pendant le plaidoyer des avocats, il se plongea dans la lecture d'un roman.

 

 

Deux avocats défendirent les prêtres de rite latin. L'exarque voulut lui-même exposer sa défense et commença par cette déclaration;

 

Ma vie entière a reposé sur deux fondements; l'amour de l'Eglise à laquelle je suis uni  et l'amour de ma patrie que je chéris. Il m'est indifférent d'être condamné à dix ans de prison  ou d'être fusillé mais ce n'est pas parce que je suis un fanatique.  Depuis que je me suis donné à l'Eglise catholique, ma pensée principale a été de réconcilier ma patrie avec cette Eglise que je crois être la seule Eglise véritable. Le gouvernement ne nous a pas compris... Si tout ce que nous avons dit dans nos réunions  et nos délibérations étaient connus, nous ne serions pas accusés ici d'avoir tenu des réunions secrètes. Cette accusation n'a aucun fondement. Si nous nous sommes opposés aux décrets qui disposaient  des biens ecclésiastiques sans tenir aucun compte de la conscience religieuse des catholiques, ce ne fut nullement par intérêt mais uniquement en vertu des lois de l'Eglise. Les canons de l'Eglise sont pour nous des choses absolument sacrées . L'autorité pastorale suprême du pontife romain est un dogme de notre foi catholique; la soumission à celui que nous considérons comme le représentant de Jésus-Christ sur la terre est pour nous de stricte obligation. Il s'agit donc pour nous d'une question de principe et non d'une résistance en vue d'intérêts matériels.    

L'exarque poursuivit sa défense en exposant comment il s'était d'abord réjoui de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, espérant qu'elle entraînerait plus de liberté pour les catholiques puis, combien par la suite, il avait été déçu sur ce point. Puis il aborda la question du catéchisme aux enfant.

Qu'est-ce donc qu'une Eglise qui n'enseigne pas? Si par exemple, des jeunes de 16 à 18 ans viennent me trouver pour se marier, comment puis-je les préparer si je ne puis leur exposer certaines conceptions religieuses? Et vous-mêmes, ne donnez-vous aucune instruction aux jeunes en dessous de 18 ans? Que serait une enfant s'il n'avait rien appris avant l'âge de 18 ans?

Le président;

Vous critiquez les lois du Gouvernement soviétique.

Féodoroff:

J'explique seulement ma conception religieuse. D'après la constitution , je puis propager mes idées religieuses. Pourquoi ne puis-je pas le faire parmi les enfants?

Le président;

la loi le défend ! Vous n'expliquez pas votre conception religieuse, vous faites une argumentation raisonnée.

Féodoroff:

Je ne puis pas m'empêcher de présenter mes raisons; Je ne puis prendre mon cœur dans mes mains et vous le montrer. Si nous jouissons vraiment de la liberté de conscience, on ne peut nous brûler sur un bûcher.

 Le président l'interrompit mais l'exarque reprit;

Féodoroff.

Bien ! Laissez-moi alors vous expliquer l'état de nos âmes d'une autre manière. Notre foi est le seul moteur de notre vie religieuse. C'est elle qui nous pousse à convertir d'autres hommes. Si les communistes se voyaient interdire d'enseigner les principes communistes avant l'âge de 18 ans, obéiraient-ils à cette défense? Pourquoi alors la loi nous prive-t-elle du droit de transmettre à nos enfants notre foi religieuse? Toutes les publications traitant ces sujets ont été défendues en Russie.

    Le Président

Avez-vous tâché d'en obtenir de l'étranger?

Féodoroff

Oui. les livres de philosophie ont pu passer. Les livres de théologie ont été confisqués à la frontière.

Le président

Vous auriez dû mentionner cela à l'interrogatoire préliminaire et vous auriez pu porter plainte. Maintenant c'est trop tard.

Féodoroff

Laissez-moi achever. Les objections que nous avons exprimées au gouvernement n'avaient rien de révolutionnaire. Je tiens à le répéter. La confiscation des biens de mon Eglise s'est faite sans rencontrer de résistance. On nous reproche de n'avoir pas voulu livrer les biens de l'Eglise dans le noble but de sauver les affamés. Laissez-moi vous rappeler les quarante wagons de nourriture envoyées par le pape Benoît XV et les cent vingt mille enfants nourris en ce moment par le pape Pie XI.

Le président

 Qu'est-ce que cela peut faire? Le pape peut aider les affamés et les catholiques peuvent néanmoins résister à la loi. Parlez-nous de vos propres affaires!

Féodoroff

J'y viens.

Le président

Il est grand temps que vous y veniez !

Féodoroff

Je n'ai jamais rien caché. Le gouvernement savait tout et il ne peut m'accuser d'avoir prit part  à des organisations secrètes. Tous les malentendus s'expliquent par des ordonnances contradictoires reçues du gouvernement.  

Nous n'avons su comment nous en dégager. Nous ne sommes coupables ni de contre-révolution, ni d'avoir formé une organisation secrète, encore bien moins d'avoir voulu résister au gouvernement soviétique ou d'avoir voulu le renverser. Je n'ai rien d'autre à dire.

 Dans sa plaidoirie, un des avocats des prêtres polonais, M. Boristcheff-Pouchkine,  avait proposé  que les prêtres soient tout simplement expulsés de Russie. Krylenko repoussa cette proposition :

"Que signifierait, s'écria-t-il cette déportation à l'étranger? Ce serait tout simplement rejeter les poissons dans l'eau. Nous devons les punir de telle manière que nul n'ait envie de les imiter!

Invité à parler une dernière fois pour sa défense l'exarque déclara :

Je n'ai plus rien à dire. Nos cœurs sont pleins non de haine mais de tristesse. Vous ne pouvez nous comprendre. Vous ne nous laissez pas la liberté de conscience. C'est la seule conclusion que je puisse tirer de ce que j'ai entendu ici. 

        Le président

 

C'est là votre conclusion?

 

L'exarque

C'est ma conclusion et au-delà une impression très douloureuse. Je ne puis rien ajouter d'autre.

 

 

 

Au jugement du Capitaine McCullagh, le discours de l'exarque projeta à lui seul beaucoup plus de lumière sur les contradictions et les injustices des accusateurs bolcheviques que les plaidoyers des autres avocats.

 

 

Il démontra habilement combien tout ce procès n'était qu'une comédie préparée d'avance, mais il le fit sans aigreur, comme un homme dont la position est tellement solide qu'il n'y a aucun besoin de se défendre, comme un pasteur moins préoccupé de sauver sa vie que d'empêcher ses persécuteurs de commettre un acte manifestement injuste.

 

 

Au cours du procès, il ne manqua pas de souligner qu'il ne dépendait d'aucun évêque latin polonais mais du Métropolite Cheptizky de Lvov qui était alors précisément en difficulté avec le gouvernement polonais. Il montrait ainsi combien il était injuste de l'accuser de travailler pour la Pologne.

Au cours du procès, un des prêtres latins chancela sous le poids de la fatigue. De santé manifestement moins robuste, il semblait ne plus suivre le fils des dialogues et, interrogé par Krylenko, il se contentait de répondre même aux questions insignifiantes ; "Je suis un prêtre catholique."

Survint une brève interruption du procès. Quand les prisonniers revinrent au banc des accusés, on remarqua que le prêtre en question ne reprit pas sa place antérieure. Il vint s'asseoir entre l'exarque et le plus jeune des accusés, le père Edouard Yunevitch, originaire de la Biélorussie et, il ne quitta plus cette place jusqu'à la fin du procès. Manifestement, l'exarque et son jeune confrère l'avaient remis sur pieds; il avait retrouvé de la vigueur et lors des interrogatoires auxquels il fut de nouveau soumis, il parla avec autant de clarté et de fermeté que d'autres.

Le dernier jours, les accusés purent prendre une dernière fois la parole très brièvement. L'exarque parla le dernier.

Je ne puis faire mieux que de confirmer mon accord avec ce qu'a dit Mgr l'archevêque Ciéplak. Comme lui, j'ai dû prendre en considération mon devoir d'état et montrer le bon exemple à mes subordonnés. Je n'ai jamais rien fait en secret; mes cartes étaient toujours pour le gouvernement. Personne parmi les autorités ne peut montrer quoi que ce soit de révolutionnaire dans ce que j'ai fait. Je demande seulement aux juges de porter leur attention  sur les paroles de mon collègue, le père Edouard Yunevitch. C'est le cri d'une âme torturée, l'âme d'un prêtre catholique convoqué devant vous, et ce cri trouve un écho dans l'âme de chacun de nous. Je demande seulement aux juges une fois de plus de peser et considérer la situation  qui a arraché ce cri à l'âme d'un prêtre catholique. Elle résulte du fait que le devoir sacré que nous avons à remplir comme prêtres catholiques se heurte à une défense de la loi civile. Nous sommes les victimes d'une incompréhension et je ne vois pas comment en sortir. Si le  Seigneur tout-puissant daigne accepter notre sacrifice en ce dimanche des Rameaux, si de nos souffrances corporelles une bonne semence quelconque peut croître et mûrir pour être acceptée et appréciée par notre chère Patrie que j'aime si profondément, le désir de mon cœur est qu'au moyen de cette expérience, quelle que pénible qu'elle puisse être, notre Patrie en vienne à comprendre que la foi chrétienne et l'Eglise catholique ne sont pas une organisation politique mais une communauté d'amour. En ceci, je vois la Providence de Dieu, la volonté de Dieu, et dans cette foi, j'accepte tout ce qu'il m'enverra.   

 Les juges firent attendre les accusés pendant huit heures, puis ils revinrent de manière à lire les sentences exactement à minuit. L'archevêque Jean Ciéplak et Mgr Budkiewicz furent condamnés à être fusillés. L'exarque Léonide Féodoroff fut condamné à dix ans de prison. Tous leurs biens furent confisqués.

La parodie du procès terminée, les prisonniers furent entassés dans un camion complètement clos et reconduits à la prison de Boutyrka.

Il était dix heures du matin.

 On lit dans "Catholiques en Russie d'après les archives du KGB" du Père Antoine Wenger pp 32 sous le titre "premières arrestations du groupe des sœurs dominicaines"
Au cours du procès, l'exarque Feodorov reconnut avoir rédigé avec l'avocat Kouznetsov , la proclamation contre la séparation de l'Eglise et de l'Etat le même texte que le père Mailleux il termine sur cette noble déclaration ;" toute ma vie est basée sur deux principes: l'amour de la patrie que je vénère et l'amour de l'Eglise à laquelle je me suis uni. Il m'est indifférent que l'on me condamne à dix ans d'emprisonnement ou à être fusillé, car je suis un catholique fanatique. Depuis le temps où je me suis unis à l'Eglise catholique, mon unique tâche a été de rapprocher ma patrie de cette Eglise, que je crois la vraie Eglise".   

 

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28/10/2014
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