Mme Ott responsable des Français

Mme Ott responsable des Français

Jusqu'en 1925

On demanda à Mme Ott comment et pourquoi l'abbé Vidal, curé de Saint-Louis-des-Français à Moscou, lui a confié, lors de l'expulsion de la colonie Française de Moscou en 1920, la charge de l'église : sans doute parce qu'elle était assidue aux offices  et que, du fait de l'aisance familiale - Mme Ott était professeur à l'Institut universitaire hydraulique -  elle avait le temps de s'occuper de l'église. Elle expliqua qu'à défaut de prêtres français, elle fit appel aux prêtres polono-russes de l'église Saints-Pierre-et-Paul pour assurer une messe dominicale.

Mme Ott se trouvait chargée, à cette époque troublée, de l'assistance aux Français nécessiteux, la plupart vieilles demoiselles, venues en Russie pour enseigner le français aux enfants des familles de la noblesse russe et qui, après le départ de celles-ci, restaient sans travail.  M. Herriot, venu en Russie en 1922, la confirma dans cette mission - "Mais d'où venait l'argent ?" - " Par l'ambassade de Pologne et les services consulaires, dirigés par Zeleszniki (dont Mgr Neveu, à sa mort le 25 octobre 1931, fera un bel éloge pour son honnêteté et son impartialité.). Mais cette fonction prit fin quand la France reprit les relations diplomatiques et que M Herbette arriva à Moscou comme ambassadeur en janvier 1925. C'est par Me Ott encore que l'ambassadeur et le premier secrétaire Garreau (le même qui en 1942 sera représentant du Comité français de libération nationale)  continueront cette mission.

 

Le juge d'instruction demanda alors si M. Herbette n'a pas confié à Mme Ott d'autres missions.

- Si il m'a envoyée deux fois à Leningrad pour récupérer du mobilier de l'ancienne ambassade, toujours bien français ainsi que les porcelaines précieuses.

En 1926, Mme Ott fut effectivement  employée par l'ambassade de France. On l'interrogea à nouveau sur la nature de son travail au Consulat, qui elle connaissait.

- "Les conseillers Charpentier et Colona Cesari; avant la guerre,  le conseiller Payart et l'ambassadeur Labonne "  

Payart était premier secrétaire en 1932, puis conseiller jusqu'en 1937, Labonne (Erik) ambassadeur du 3 juin jusqu'au régime de Vichy, qui nomma Gaston Bergery. Celui-ci quitta l'URSS à la rupture des relations diplomatiques.  

 L'on était alors en 1938. Albert Ott fut arrêté le 5 mars 1938 et mourut du typhus en 1939.  - Avez-vous parlé de la mort de votre mari à l'ambassade? 

- Oui au conseiller Payart, à Mme Berg et à Me Tartavez ainsi qu'aux autres collaborateurs du service consulaire.

- Comment ont-ils réagi?

- Très amicalement. A l'église Saint-Louis fut célébrée une messe de requiem et beaucoup de collaborateurs de l'ambassade y ont assisté.

- L'ambassadeur est-il venu chez vous?

- Oui, une fois en 1932, à l'occasion des noces d'argent de notre mariage.

- Quelles sortes de renseignements sur l'Union soviétique donniez-vous aux Français?

- Je n'ai pas donné de renseignements  concernant l'Union soviétique.

Et le juge de conclure avec menace

- C'est en vain que vous niez d'avoir transmis ces informations Nous vous prions de réexaminer votre attitude et de nous dire enfin la vérité. Nous reviendrons là-dessus  dans notre prochain interrogatoire.  Il était 22 h 40.

Effectivement, dès le matin du 9 décembre, l'interrogatoire reprit et porta sur  l'origine des sommes que Mme Ott distribuait aux Français en 1932.

- L'enquête dispose d'un document écrit de votre main une liste qui contient 200 Français et Françaises, vivant à Moscou et dans laquelle vous établissez leurs besoins en vêtements et en chaussures.  Au nom de qui vous remplissez cet office?"

- J'ai établi cette liste à la demande de Lagrange. (1)

(1) Est venu en Russie en mission spéciale lors de la famine qui sévissait alors sur les territoires de la Volga, pour connaître la situation des Français restés en Russie.

 - Comment avez-vous connu Lagrange?

- "A son arrivée en Russie soviétique, il est venu à l'église et nous avons fait connaissance et je l'ai aidé à dresser la liste des Français de Moscou qui étaient dans le besoin."

- " Mais qui pouvait vous charger, vous sujet soviétique, d'une telle mission? Outre la mission Lagrange, en quoi consistait l'assistance polonaise et comment l'expliquez-vous?"

" Je pense qu'il y avait entente entre les deux gouvernements, puisque la France n'avait pas de représentation diplomatique, alors que la Pologne avait une légation et divers consulats."

Comme Mme Ott était devenue en 1926 employée de l'ambassade de France, on lui demanda si elle faisait parfois du travail d'ambassade à la maison.

- "non" répondit Mme Ott

- " Pourquoi alors aviez-vous chez vous, dans votre appartement des feuilles à l'en-tête de l'ambassade et un cachet?"

- "C'était uniquement pour obtenir des billets de théâtre pour le personnel"

Comme par son mari Mme Ott connaissait le milieu universitaire, on lui demanda quelles relations elle avait dans le monde des étudiants, des candidats au doctorat et des travailleurs scientifiques.

- "aucune" répondit-elle.

 

Episode de la guerre froide:

 Pourquoi Mme Ott et sa fille, ont-elles été arrêtées, ce samedi 6 décembre 1947? Elles étaient sous la menace de l'arrestation depuis 1938, après les "aveux" de son mari, Albert Ott, de complicité d'espionnage. D'ailleurs la fille Alice Ott avait été arrêtée le 4 juillet 1941 et n'eût été la démarche de la Grande-Bretagne, puissante et incontournable alliée; elle aurait bien pu passer dans les camps le restant de ses jours.

1947 marque le commencement de la guerre froide entre les deux blocs, anciens alliés devenus adversaires. Dès mai 1946, Churchill avait dit à Fulton (Missouri, USA) "Un rideau de fer s'est abattu sur l'Europe. "En mai 1947 paraît en France la traduction du livre accusateur de Viktor Kravtchenko "j'ai choisi la liberté". . En automne 1947, des grèves très dures avaient conduit à l'arrestation d'agents soviétiques en France. Mesure de rétorsion donc et première opération de guerre froide? On serait tenté de le croire, car ce 6 décembre furent arrêtés à Leningrad Mme Bovard; à Lvov Mme Vassaux-Sommer; d'autres à Riga. Mais ces femmes étaient françaises et seront finalement expulsées d'URSS et refoulées vers le secteur français de Berlin.

Les alliés s'étaient engagés à livrer à l'URSS ses ressortissants, prisonniers de guerre dans leurs zones respectives. Plus de deux millions furent ainsi remis au NKVD, dont la plupart seront condamnés aux camps pour trahison 102.481 furent livrés par la France : prisonniers de guerre allemands, militaires russes qui avaient suivi le général Vlassov, travailleurs forcés. Comme la mission de rapatriement soviétique avait enlevé des transfuges jusque sur le propre territoire français, le gouvernement fit investir le 14 décembre 1947, le camp de Beauregard, affecté à la mission russe de rapatriement. Ce climat de guerre froide ne pouvait qu'envenimer l'atmosphère du procès de Mme Ott et de sa fille et rendre impossible toute tentative de l'ambassade de France de leur venir en aide. 

 

   



29/04/2016
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