Saint Nicolas

Saint Nicolas

Vie et Iconographie

Par le père Egon Sendler SJ Dans Plamja N°90 octobre 1994

 

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Evêque d'une petite ville peu connue de Lycie, sur la côte d'Asie Mineure, saint Nicolas de Myre fut un saint, qui n'a pas laissé de traités théologiques, qui n'a pas été martyrisé pour la foi et qui était encore bien peu connu avant le VIIe siècle. Malgré toutes ces conditions défavorables, sa place dans l'iconographie comme dans la liturgie et la piété populaire est considérable en Orient comme en Occident.

Dès lors se pose la question : Comment comprendre cet immense renom et cette place exceptionnelle qu'occupe ce saint dans toute la chrétienté?

Peut-être avons-nous la clé, ou pour le moins une clé, de cette question dans le titre que l'Eglise byzantine donne traditionnellement à saint Nicolas de Myre : le Thaumaturge , c'est-à-dire le "Faiseur de miracles."

La vie et les légendes

Certes la vie de ce saint évêque comporte beaucoup d'obscurités, mais pourtant ce serait "une faute de méthode que de contester l'existence historique de saint Nicolas, dit Gustav Anrich, un savant qui a réuni et analysé toutes les légendes d'une quarantaine de traditions dans les deux volumes d'une oeuvre qui fait autorité. Comme le premier document concernant ce saint date d'environ deux cents ans après sa mort, on ne peut guère s'attendre à des détails sûrs et précis. En revanche, on peut affirmer avec certitude qu'un évêque du nom de Nicolas a bien existé, qu'il a exercé une grande influence dans son pays, qu'ils est mort le 6 décembre. (1)

(1) Gustav Anrich, Hagios Nicolaos - Der Heilige Nikolaus in der Griechischen Kirche, Leipzig-Berlin 1913 et 1917 Bd II p. 514

Il se trouve que la biographie d'un autre saint Nicolas (abbé du monastère de Sion, situé à une centaine de Kilomètres de Myre) était déjà vénéré comme saint, et que son nom était très souvent invoqué parmi les chrétiens. Son culte était déjà établi depuis un siècle et il peut estimer qu'il a vécu à Myre au début du IVe siècle, peut-être à la fin du IIIe.

 

Cette hypothèse semble être confirmée par le lieu de la sépulture. Comme au IIIe siècle il n'était pas encore d'usage de donner à l'évêque une sépulture dans sa cathédrale, la "Hagia eiréné" de Myre, on  enterra saint Nicolas dans le "martyrion" , où se trouvaient les tombeaux de l'époque des persécutions. Bientôt une chapelle fut construite sur sa tombe, puis au Ve siècle une basilique qui fut détruite deux fois par les Arabes (en 808 et en 1034). En 1042 l'empereur Constantin IX Monomaque et l'impératrice Zoé firent construire  sur les anciennes fondations une basilique à trois nefs et coupole centrale. Celle-ci tomba en ruine après l'avances des Turcs au XIIIe s.

 Selon Gustav Anrich saint Nicolas était probablement contemporain de l'empereur Constantin le Grand et du premier concile de Nicée (325). Cependant il ne semble pas avoir participé au Concile puisque son nom manque sur la liste des signataires. (2)

(2) G Anrich op.cit. Vol II pp: 511-514        

 Au VIe siècle, son culte est attesté à Myre et à Constantinople ; au IXe à Rome et au Xe en Rhénanie, où il fut favorisé par Théophano, épouse grecque de l'empereur Othon II. C'est après le transfert de ses reliques à Bari, en 1087, que son culte reçoit une impulsion importante pour la chrétienté d'Orient. A la même époque, la vénération de saint Nicolas se répand dans toute la Russie. C'est à Novgorod que le saint était spécialement vénéré: son culte avait été amené dans ce grand centre commercial par des négociants qui le vénéraient comme leur protecteur. Un nombre considérable d'icônes russes furent peintes à partir du XIIe siècle. D'innombrables églises et monastères lui sont consacrés et ses icônes se trouvent dans de nombreux foyers. Déjà au temps des invasions mongoles, quand les villes prirent de l'importance, saint Nicolas était invoqué en tant que protecteur comme à Mojaïsk. Les voyageurs occidentaux - Paul d'Alep, Alexandre de Veron (XVIe s.) Olearus (XVIIe s.) Heberstein et Milton - sont surpris de voir que Saint Nicolas est, après la Mère de Dieu, le plus vénéré de tous les saints et il leur semble que les fidèles, lui rendent un culte presque divin. Toujours en Russie, la noblesse et même la famille impériale participaient à cette vénération: des tsars et des princes portaient son nom et la flotte russe le considérait comme son patron après l'apôtre André. Dans la capitale, Saint Pétersbourg, une cathédrale lui fut consacrée.

La signification des légendes.

Si les faits historiques concernant saint Nicolas sont rares, en revanche on dispose d'une riche collection de légendes le concernant. Est-ce à dire que cette vénération universelle du saint soit fondée sur des légendes et non sur la réalité historique? La réponse est à chercher dans la nature même des légendes. Une légende du saint n'est pas simplement un conte, une création de la fantaisie où règne le merveilleux mais une vision d'un monde soumis à une double causalité : celle de la réalité terrestre et celle de la grâce. En outre, elle n'expose pas une vérité abstraite comme celle des traités scolaires mais elle manifeste de façon vivante une vérité personnalisée: elle est expression de la personne du saint lui-même, une rhétorique cherchant à dire sa sainteté spécifique.

Pour saisir cette fonction des légendes on peut choisir celle dite des "Trois icônes" car elle est particulièrement simple et même primitive dans sa structure et dans son style. (3)

(3) Bolletino di san Nicola.  Bari 1974 N° 7/8. On y trouve un manuscrit ancien en slavon de la légende des "Trois icônes" tel qu'il a été publié par le prince Chérémétev à Pétersbourg (1879). (la revue publie quelques fac-similés de ce document, (impossible à reproduire ici.)

On sait l'importance et la gravité de la crise iconoclaste dans l'Eglise d'Orient. Au lieu d'exposer de façon théorique et théologique les enjeux de cette difficile querelle, la légende raconte comment le Patriarche Anastase de Constantinople, premier patriarche iconoclaste, fut désavoué par Saint Nicolas lui-même: saint Nicolas apparaît en songe à un homme pieux et charitable appelé Théophane et lui demande de peindre trois icônes: celle du Sauveur, celle de la Mère de Dieu, et aussi sa propre icône: celle de saint Nicolas, le serviteur de Dieu et l'intercesseur pour le peuple de Dieu. Le patriarche, lorsqu'il visita la maison de Théophane, le félicita pour les deux premières icônes mais l'obligea à retirer celle de saint Nicolas. Or, pris dans une tempête, le Patriarche ne fut sauvé des flots que par l'aide de saint Nicolas, mais ce dernier exigea que son icône  soit remise à sa place ! Ainsi la fausseté de l'iconoclasme était proclamée non par une théorie mais par un miracle éclatant que tous pouvaient comprendre et qui était irrécusable. Pour le peuple une pareille légende était plus claire que les plus savantes explications !

On comprend alors l'importance donnée aux miracles dans les légendes : ils montrent la force de la grâce, une force qui continue à être efficace même après la mort, comme la parole vivante de l'Ecriture. Et ces miracles n'ont pas seulement une signification symbolique mais ils tiennent à la personne du saint, ils sont comme un aspect de sa nature, vue non d'ici-bas, mais au-delà. Ainsi l'image du saint dans les légendes et les icônes n'est pas simple souvenir de son existence terrestre, mais une présence de sa personne, et même elle constitue un passage pour le rejoindre dans la gloire éternelle. (4)

(4) Cf. Ivan Kologrivov, Essai sur la sainteté en Russie, Bruges, Beyaert, 1953 p.23 

 Avec notre mentalité historique actuelle, il nous est difficile d'entrer dans cette présentation d'une vérité qui n'est pas strictement historique, mais relève d'une autre mentalité poétique et symbolique et pédagogique. Aujourd'hui cette façon de présenter les choses nous choque comme un mensonge (surtout lorsqu'il s'agit de questions religieuses), mais il se peut que jadis celui qui écoutait ces légendes en percevait mieux que nous le caractère symbolique.

 

La "Praxis de Stratilatis"

La plus ancienne et la plus importante des légendes concernant saint Nicolas fait allusion à la situation politique et ecclésiastique du temps de Justinien. Ses origines ne sont donc pas antérieures à l'an 460, et certainement pas postérieures à 580. "Praxis" est le mot grec pour dire "un fait notable, une action, un geste" - une geste qui, malgré les miracles nombreux de saint Nicolas, est restée la plus importante car elle est à l'origine de la vénération du saint. Cette geste s'opère pour trois chefs d'armée, trois "stratilates", sauvés par l'intervention de saint Nicolas. La légende montre que l'écrivain connaissait bien la ville et la Lycie, ce qui permet de supposer qu'il s'agit d'une tradition encore plus ancienne. Autre détail notable : des chefs militaires sont connus, tels Nepotianos et Ursos qui étaient consuls en 336-338. De même le favori de l'empereur, le préfet de Constantinople Ablabios, a réellement existé: son manque de conscience et sa vénalité sont restés tristement célèbres dans la capitale. Ces éléments concrets donnent à la légende un fond historique sur lequel apparaît l'autorité impressionnante de saint Nicolas. 

 

La légende raconte qu'une rebellion avait éclaté en Phrygie et que, pour rétablir l'ordre, l'empereur avait envoyé trois chefs avec leurs armées. Or des vents défavorables contraignirent les bateaux à accoster à Andriaké, port proche de Myre. Lorsque les soldats, pour améliorer leurs rations, commencèrent à piller le pays, la population s'opposa violemment et on entendit le bruit de cette résistance jusqu'à Myre. En hâte l'évêque quitta la ville pour aller calmer les esprits et rétablir l'ordre. Ce qui fut vite fait car les chefs de l'armée furent tellement impressionnés par la personne de l'évêque qu'ils promirent immédiatement de faire cesser les violences. A ce moment arrivèrent des messagers qui informèrent saint Nicolas que le gouverneur avait arrêté trois innocents pour s'emparer de leur fortune, qu'il les avait condamnés à mort et les faisait conduire vers le lieu de leur supplice. Saint Nicolas prit vite avec lui les trois chefs militaires et arriva juste au moment où le bourreau levait l'épée pour exécuter la sentence. Nicolas saisit l'épée et enleva les chaînes des innocents et déclara au gardien de prison qu'il était prêt à mourir à leur place. Après cela il s'empressa de voir le gouverneur. Quand celui-ci vint à sa rencontre, Nicolas menaça de l'accuser devant l'empereur pour son crime, et comme il décrivait le crime dans tous ses détails, le gouverneur promit de réparer ses torts.

Les trois chefs militaires eurent l'occasion de se souvenir du courageux défenseur des opprimés. Une fois leur mission accomplie en Phrygie, le peuple leur avait préparé une réception triomphale mais bientôt leur sort devait changer. Jaloux de leur succès, le préfet Abablios présentait à l'empereur de fausses accusations disant que les trois chefs préparaient, après leur victoire une révolte contre lui. Celui-ci le crut, les fit incarcérer et, finalement, cédant aux instances répétées du préfet, il les fit condamner à mort. Dans leur prison, les trois condamnés se souvinrent de saint Nicolas et le prièrent de les sauver. Alors le saint apparut à l'empereur puis au préfet en les menaçant d'une mort horrible s'ils ne libéraient pas les prisonniers innocents. Le matin suivant, le préfet informa l'empereur de ce qui s'était passé pendant la nuit. Or, ils constatèrent que, indépendamment l'un de l'autre, ils avaient eu le même songe. C'était donc un signe du ciel. L'empereur fit donc amener les prisonniers et apprit d'eux qu'ils avaient imploré Nicolas de Myre, ce saint qui lui avait parlé en songe. Il les combla de dons et leur demanda d'aller à Myre remercier leur bienfaiteur et solliciter ses prières pour l'empereur et pour l'empire.  

Le succès de cette légende dans la chrétienté entière n'est pas dû à sa qualité littéraire, mais au personnage qui y apparaît saint Nicolas est toujours prêt à aider tous ceux qui sont en danger, et ceci non seulement par sa prière d'intercession spirituelle mais en intervenant physiquement lui-même. C'est ainsi qu'on le voit apparaître en personne dans la capitale lointaine, comme s'il n'était pas soumis aux lois physiques, tel un être céleste. Il est déjà un homme céleste

Le nombre "Trois" est remarquable dans les légendes : les trois innocents à Myre, les trois chefs d'armée et, dans d'autres légendes on parle de trois vierges et de trois garçons. Il est probable que dans l'hagiographie de saint Nicolas il ne s'agit pas d'une loi esthétique mais d'une loi théologique : le rappel de la révélation trinitaire, source de toute existence, les trois tentations du Christ, universalité de toutes les tentations humaines, les trois vertus théologales, dans lesquelles sont incluses toutes les autres vertus. On peut penser que ce symbolisme tend à exprimer l'universalité de la grâce et de la miséricorde de Dieu.

 

Les biographies de saint Nicolas.

La "Praxis de Stratilatis" est la plus ancienne légende de la tradition grecque. Autour d'elle sont groupés d'autres récits dans la biographie appelée "Vita per Michaëlem" car l'auteur est probablement l'abbé Michael du monastère Stoudion à Constantinople. Dans cette biographie sont inclus plusieurs éléments de la "vita" de saint Nicolas de Sion mort en 564. Les générations suivantes n'ont plus distingué entre l'abbé de Sion et l'évêque de Myre. Ceci n'est pas nécessairement un fait tout négatif. On peut supposer que la personne de Nicolas de Myre a attiré ces légendes car elle avait plus de relief spirituel. Ces légendes qu'on appelle, dans l'histoire de la spiritualité, "migrantes" ne s'opposent pas nécessairement à la vérité historique. Elles ont une fonction d'amplification. (6)

(6) Robert Hotz, Saint Nicolas : Facts and Legend.  

 Au IXe siècle, l'abbé Methodios, Patriarche de Constantinople entre 843 et 847, écrit une autre biographie appelée Methodios ad Theodorum, se fondant sur la Vita per Michaëlem.

La première Vita beati Nicolai episcopi fut composée par le diacre Jean de Naples, en 880, Jacques de Voragine mort en 1298 l'inséra dans sa célèbre collection "Légende dorée" largement répandue dans tous les pays chrétiens jusqu'aux temps modernes.

 Finalement il faut encore mentionner deux éditions qui ont considérablement contribué à la diffusion des légendes de saint Nicolas : c'est d'abord sa biographie dans le Synaxarion Vita, une collection de biographies de saints pour les lectures monastiques des monastères. On y raconte que saint Nicolas fut incarcéré pendant les persécutions sous Dioclétien, et qu'il s'était opposé à la doctrine d'Arius , doctrine qui fut ensuite condamnée comme hérésie au concile de Nicée I.

Au Xe siècle, Siméon Métaphraste publie dans le Menaion (lectures liturgiques pour chaque jour du mois) la vie de saint Nicolas pour le 6 décembre. Il utilise la "Vita per Michaëlem" et ajoute des éléments tirés d'autres traditions, par exemple celle de Nicolas de Sion.

Tel se présente l'univers des légendes concernant saint Nicolas. Il est surprenant par sa diffusion, ses ramifications et par ses publications dans différents pays.

 

Saint Nicolas en Occident.

Quelques années avant la première croisade (1096-1099) intervint un événement qui joua un grand rôle dans la popularité de saint Nicolas en Occident : en 1087, la ville de Bari, centre commercial et siège archiépiscopal pour le Sud de l'Italie et la Dalmatie, envoya trois bateaux à Andriake pour chercher les reliques du saint. Au début les envoyés eurent des difficultés à retrouver le tombeau, car les Seldjoukides avaient dévasté la Lycie et Myre sa capitale. Finalement on trouva quatre moines qui montrèrent aux marins de Bari le tombeau où ils découvrirent le corps de saint Nicolas dans une flaque d'huile d'un arôme merveilleux. Quand ils retournèrent avec les reliques le 9 mai 1087, la joie des citoyens de Bari fut grande. Aussitôt on entreprit la construction d'une basilique qui fut consacrée par le pape Urbain  II (1088-1099). Les reliques trouvèrent leur place définitive sous l'autel de la crypte.

 

A vrai dire, au cours de la polémique entre l'Eglise d'Orient et celle d'Occident, ce "transfert des reliques fut parfois interprété comme "un vol" des reliques du saint par les "latins" ! tandis que les Latins prétendaient le soustraire aux Musulmans qui dominaient le pays. Mais l'essentiel n'est pas là, l'essentiel tient à ce que cet épisode permet de mesurer toute la popularité du saint de Myre, en Orient comme en Occident. Et même, s'il l'on veut être compréhensif, il démontre de façon inattendue comment saint Nicolas constitue un lien réel entre les deux Eglises.

Pour en revenir aux reliques, les historiens ne sont pas tellement sûrs qu'il s'agisse des reliques authentiques de saint Nicolas. On sait que, déjà à Myre, elles furent transférées plusieurs fois, et plus tard la confusion augmenta encore lorsque les Vénitiens envoyèrent une expédition à Myre dont les membres, à leur retour, prétendirent avoir trouvé les véritables reliques. Reste un fait énigmatique que la science ne peut pas expliquer ; du tombeau s'écoule un mystérieux liquide transparent et odorant (7 ou 8 litres par ans !) comme auparavant à Myre.

 

En occident le transfert des reliques à Bari devait avoir de nombreuses conséquences bénéfiques dont le plus manifeste fut le développement des pèlerinages. Ainsi en Loraine, autour d'une relique rapportée de Bari, va se construire une ville, saint Nicolas-du-Port. On y célébrait les prières selon les traditions de Bari et ce lieu de pèlerinage devint aussi un centre commercial important lors des foires annuelles où se réunissaient des marchands de la région mais aussi de Rhénanie, des Flandres et de Suisse. De même, on peut dire que saint Nicolas joua un rôle important dans le développement de la ville de Fribourg en Suisse. Ces exemples plus notables ne doivent pas faire oublier une multitude de pèlerinages locaux qui ont concerné toute la chrétienté occidentale. 

 

Le rôle de Saint Nicolas, on le voit, ne se limite pas seulement au culte mais il touche la vie, profane comme sacrée. Un exemple particulièrement frappant est "La fraternité de Saint Nicolas de Bari " (XVe siècle) Cette association dont le siège était à Trieste, ne se contentait pas de son travail professionnel, elle organisa une solidarité entre les gens de mer et même une sorte de service social tout à fait original et efficace, sans parler de l'entretien des lieux de culte et de l'organisation de fêtes populaires.

Pour rendre compte de cette influence et de cette emprise de saint Nicolas, il convient de se reporter explicitement aux nombreuses légendes le concernant, car elles permettent de comprendre les leçons évangéliques que la vie du saint proposaient aux chrétiens d'alors. Certaines de ces histoires merveilleuses sont propres à la tradition occidentale, elles seront évoquées à la suite des légendes orientales qui racontent sa vie.

La vie de saint Nicolas.

Les grandes icônes de saint Nicolas comportent souvent, autour de l'image, une série de scènes qui racontent les épisodes de sa vie selon les diverses légendes. De la même façon on peut dire que les légendes, malgré les différences des traditions, constituent autant d'illustrations de la personnalité du saint, autant d'explication de sa sainteté.

 

Selon les sources littéraires de la tradition, Nicolas est né vers 270 à Patras en Lycie. La légende raconte que, après sa naissance, quand on voulait lui donner un bain, il se tenait debout et il refusait le lait de sa mère le mercredi et le vendredi. Ce qui apparaît dans cette petite légende comme une pieuse exagération, peut avoir un sens pour sa vie: les pieds posés sur la terre, la tête levée au ciel signifient qu'il était un enfant de la grâce, qu'il avait naturellement le sens de la primauté de Dieu, sens que les autres hommes acquièrent au cours d'une longue vie. Et s'il refuse la nourriture les jours de jeûne en Orient, cela signifie qu'il possède l'harmonie intérieure, ce fruit de l'ascèse.  

 

Devenu jeune homme, Nicolas apprend qu'un voisin veut livrer ses deux filles à la prostitution car il est trop pauvre pour pouvoir les doter et les marier. Pour empêcher ce péché et aider cette famille, Nicolas, pendant la nuit, jette une boule d'or dans la chambre du pauvre père, puis une deuxième fois mais la troisième fois il est surpris par le père qui veut remercier pour cette aide. Alors, Nicolas lui impose de ne pas en parler jusqu'à sa mort.

 

Lorsque son prédécesseur à l'évêché de Myre mourut, les autres évêques de la région se réunirent pour élire un successeur. Le métropolite un saint homme expérimenté, entendit pendant la nuit une voix qui lui disait : "Va à l'heure des matines à l'église. Le premier qui viendra et dont le nom est Nicolas sera consacré évêque. Le métropolite en informe ses frères et attend le matin devant l'église. Quand Nicolas arrive, le premier, pour les matines, il l'accueille et le conduit au trône de l'évêque. Après sa consécration, Nicolas resta un homme de prière et d'ascèse, humble envers tous les hommes mais sévère quand il le fallait.

 

Une des plus ancienne légendes est celle des marins dans la tempête. Quand ceux-ci se virent perdus dans la mer déchaînée, ils crièrent : "Serviteur de Dieu, si ce que nous avons entendu sur toi est vrai, fais-le nous éprouver maintenant. Aussitôt un homme qui se mit à manœuvrer les voiles, les cordes et le gouvernail, et la tempête se calma immédiatement. Arrivés au port, ils se mirent en route pour remercier Dieu dans l'église de Myre. A l'entrée, ils virent un prêtre qu'ils reconnurent comme leur sauveur, c'était saint Nicolas "Essayez de plaire au Dieu miséricordieux et vous recevrez son aide dans tous les dangers de votre vie." leur dit-il quand ils voulurent le remercier.

 

Une fois, une grande famine régnait dans la région de Myre et l'évêque, qui voyait la grande misère de son peuple, ne savait pas comment l'aider. A ce moment on annonça que des bateaux chargés de blé avaient accosté dans le port. Pour saint Nicolas, c'était un signe d'espoir: en hâte, il alla trouver les marins et leur demanda du blé pour ses fidèles qui mouraient de faim, mais ceux-ci lui répondirent qu'ils ne pouvaient rien leur donner car ils devaient livrer à Constantinople exactement ce qu'ils avaient chargé à Alexandrie. Alors le saint leur promit par la force de Dieu, qu'ils n'auraient pas moins de blé pour leurs bateaux à leur arrivée s'ils en donnaient une partie à son peuple. Finalement les marins se laissèrent convaincre par saint Nicolas et le peuple eut assez de blé pour se nourrir et faire les semailles pendant deux ans. A leur arrivée à Constantinople ils constatèrent que rien ne manquait à leur cargaison.

 

Dans la série des légendes plus récentes, du Moyen Age, on trouve aussi celles qui sont propres aux différents pays et qui apparaissent dans leur iconographie. Souvent, elles ne font qu'amplifier le  trait central de la vie de saint Nicolas: sa grande miséricorde. Par exemple le sauvetage de Dimitri dans les tourbillons du Dniepr: la libération du jeune Basile devenu serviteur d'un prince sarrasin: les deux légendes de Juif que saint Nicolas protège contre l'injustice des chrétiens -un thème étonnant pour le Moyen Age - et qu'il convertit. En Russie, on trouve encore représenté "le miracle du tapis" : un vieux couple vend un tapis pour fêter dignement saint Nicolas: c'est le dernier objet qu'ils possèdent; ils ne savent pas que c'est saint Nicolas lui-même qui l'achète et qui leur rend l'argent.

Dans la cathédrale de Winchester une légende est représentée sur une sculpture des fonts baptismaux. C'est une histoire étrange qui vient du Nord de la France. Elle montre que saint Nicolas peut même ressusciter des morts : trois jeunes enfants s'arrêtent un soir chez un boucher et lui demandent l'hospitalité. Avec sa femme il les accueillit et ils leur donnèrent une chambre. Comme les enfants étaient pauvres et que le boucher ne pouvait pas en tirer profit, il décida de les tuer. La nuit venue, ils les assassina, les coupa en morceaux et les mit dans un saloir pour les offrir plus tard à ses hôtes. Mais le lendemain matin, arriva saint Nicolas qui confondit le couple criminel et ressuscita les trois enfants. Peut-être le réalisme choquant de cette légende est-il voulut par l'auteur pour montrer la force d'intercession de saint Nicolas qui ressuscite les morts. Il se peut aussi que ce soit le dernier élément de la vie du Christ, car certaines légendes font penser à l'Evangile et ses miracles : la tempête apaisée, la multiplication des pains, les guérisons, la résurrection de Lazare. C'est la vie du Christ qui se reflète dans celle de saint Nicolas.

 

Deux autres légendes sont encore à retenir car elles explicitent le rôle de l'évêque, responsable de la foi de ses fidèles. Ce ministère est symbolisé sur les icônes par le livre des Ecritures qu'il porte comme tous les évêques. Or, à cette époque, le paganisme était encore vivant dans la région de Myre. Sous un chêne séculaire on offrait encore des sacrifices à la déesse Diane (ou Artémis) Pour mettre un terme à ces pratiques, Nicolas fit l'arbre et détruire l'ancien sanctuaire. Mais la déesse ne se donnait pas pour vaincue. Un jour, lorsqu'un bateau s'approchait du port d'Andriaké elle apparut sous la forme d'une moniale et donna aux marins un flacon rempli d'un liquide que ceux-ci devaient verser sur les murs de l'église de saint Nicolas. Les marins étaient encore indécis lorsqu'un bateau s'approcha d'eux ayant à bord saint Nicolas. Sur son ordre, ils jetèrent le flacon à l'eau : le flacon explosa et soudain la mer se couvrit de flammes. Ainsi la sagesse du saint avait vaincu la vengeance du paganisme.

 

Comme défenseur de la foi, saint Nicolas devait aussi, selon la légende, participer au Concile de Nicée en 325. Les évêques d'Orient et d'Occident s'étaient réunis pour traiter de la doctrine de l'arianisme qui niait la divinité du Christ. Pendant les discussions, l'évêque de Myre ne pouvait plus supporter l'impiété d'Arius et lui donna une forte gifle. Alors le président de l'Assemblée, Hosios de Cordoba, ne pouvant supporter un tel geste, lui enleva l'omophorion (l'étole de l'évêque). Cependant la nuit suivante, Hosios vit en songe que le Christ remettait à saint Nicolas l'évangéliaire et que la Mère de Dieu lui remettait l'omophorion en disant : "demain vaincra Nicolas" Et en effet, le lendemain Arius fut condamné comme hérétique. L'iconographie rappelle cette légende par la représentation du Christ et de sa Mère en deux médaillons sur les icônes du saint.     

 

 Dans la "Légende dorée" de Jacques de Voragine on trouve comme dernière légendes celle des Stratilates, peut-être, parce qu'elle est la plus importante et qu'elle est comme le couronnement de la vie du saint. Dans la fin de cette vie "pleine d'amitié et de bonté pour les hommes" comme la liturgie le dit du Christ, se trouve le récit de sa mort. "Et quand le Seigneur voulut prendre le saint chez lui, Nicolas le pria d'envoyer son ange, il inclina la tête et commença le psaume "Seigneur, j'espère en toi" (Ps.30) Arrivé aux paroles : "En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit", il rendit l'âme. C'était en l'an du Seigneur 343. L'icône montre un ange qui dépose le corps de saint Nicolas dans son tombeau, tandis qu'un autre emporte son âme au ciel, une composition proche de celle de la Dormition de la Mère de Dieu.

 

Iconographie.

Les plus anciennes icônes se trouvent au monastère de Sainte Catherine du Mont Sinaï. Elle font partie de ces quelques icônes qui échappèrent à la destruction systématique entreprise par les iconoclastes. Sur le diptyque peint entre 690 et 725, saint Nicolas est représenté en vêtements épiscopaux : il porte le phélonion (chasuble) et l'omophorion (étole de l'évêque): il fait le geste de bénédiction. Ce qui caractérise cette icône c'est que le saint est représenté avec une barbe pointue; ce fait très rare a conduit certains historiens à supposer qu'il s'agissait d'un autre Nicolas : l'archimandrite de Sion. (7)

P. Gerardo Cioffari o.p. "Il vero volto di S.Nicola. Ricerca storico-artistica sulle imagini anterior al Mille dans "Bolletino di San Nicola, Bari 1994 n° 7/8

Dans la collection du Mont Sinaï, il faut encore signaler trois autres icônes de saint Nicolas. La première (peinte autour de 900) le montre debout à côté de  saint Zosime. Sur la deuxième il est représenté avec Jean-Baptiste autour de Marie qui porte son enfant. Sur la troisième icône, on le voit en buste, mais sur les bords de l'icône (qui est très large) on trouve une série de médaillons représentant des saints. Ainsi on constate que, dès cette époque, le type de l'icône est formé. Ce qui est confirmé par la fresque de Marie l'Antique à Rome (Vers 780-820) où saint Nicolas fait partie d'une longue rangée de saints qui entourent le Christ assis sur son trône.

Le "Manuel de la Peinture" du Mont Athos (& 404) le décrit comme un vieillard chauve avec une barbe ronde". Il est toujours vêtu comme les évêques "sticharion et phélonion , omophorion" Son front est haut avec des rides, expression de l'ascèse  et des veilles de prière.  Son menton est large et la barbe ronde blanche comme ses cheveux. Depuis le XIIIe siècle, le phélonion est celui des hiérarques : le "polystaurion", une chasuble blanche couverte de croix noires, car l'évêque est témoin de la passion et de la résurrection du Christ. Avec la main droite, il fait le geste de la bénédiction et dans sa main gauche il tient l'évangéliaire comme le Christ Pantocrator: l'évêque est responsable de la plénitude de la grâce dans les sacrements et responsable de la vraie foi. C'est ainsi qu'il est représenté parmi les saints évêques dans les absides de Hosios Lukas (vers 1030), en Cappadoce dans l'église Skli Kilisse dans la sainte Sophie de Kiev (XIe siècle) dans la conque de l'abside du Monastère Ferapont (Russie) peint par maître Denys. (1500-1502)

La plus ancienne icône russe provient du monastère du Saint-Esprit (Sviato-Dukhova Monastyr, XIII e s,)  monastère qui se trouve dans la région de Novgorod. Le saint est représenté en buste, vêtu d'un phélonion rouge foncé, le regard pénétrant et tourné vers le spectateur. Les cheveux qui entourent un front puissant, la finesse de la bouche et le mouvement des mèches de la barbe donnent l'aspect d'une sculpture et son proches des modèles byzantins. Mais cette tête merveilleuse est en contraste avec le buste et avec la main qui bénit, qui sont plus simples et moins travaillés. Une autre icône de la même époque (1294) celle de Nicolas de Lipino, montre un regard plus doux, une expression plus naturelle, avec des lignes plus fluides. A droite et à gauche du saint sont représentés, en pied, le Christ qui tend l'évangéliaire à saint Nicolas et la Mère de Dieu qui lui donne l'omophorion (allusion à la légende du Concile de Nicée). On peut voir aussi dans cette composition un signe de la faveur de Dieu, car dans l'art byzantin, à cause de son respect pour la structure hiérarchique, il n'y a pas de représentation où un saint occupe une place centrale. Un détail significatif est le sticharion du saint. Il est richement orné comme le vêtement d'un prince et révèle peut-être une influence de l'art préroman occidental, où jusqu'au XIIIe s. les aubes étaient décorées de pierres précieuses.

ES Smirnova, Zitopis Velikogo Novgoroda (La Peinture de Novgorod le Grand) Ed. Nauka, Moscou 1976 p.173     

 L'icône de Nicolas de Mojaïsk présente un type spécial. Avec son épée le saint avait chassé les Mongols qui assiégeaient la ville. C'est pourquoi, d'un mouvement puissant de la main droite, il brandit l'épée. Dans sa gauche, il tient la nouvelle maquette de la ville. L'icône de Nicolas de Zaraïsk est proche de ce type. Elle montre aussi le saint debout, mais sa main droite bénit tandis que sa gauche montre l'évangéliaire.

Une caractéristique des icônes de saint Nicolas tient à ce qu'elles sont souvent décorées de médaillons montrant les représentants de la famille des donateurs. Il en est ainsi déjà dans les icônes du Mont Sinaï et de Novgorod. Au début du XIIIe siècle on commence à élargir les bords de l'icône pour y placer des scènes de la vie du saint. Ainsi on peut voir douze à seize scènes, placées toujours dans le même ordre des lecture, bien que les thèmes puissent varier : par exemple en haut du n° 1 au n° 4 sur les côtés des n° 5 à 10 en descendant et en bas des n° 11 à 14.

Les thèmes les plus souvent représentés sur les icônes de saint Nicolas sont les suivants :

1. La nativité et le bain de saint Nicolas.

2. Nicolas écolier guérit la main desséchée d'une femme.

3. Nicolas sait déjà lire quand il commence à aller à l'école.

4. L'ordination du diacre.

5. L'ordination de prêtre.

6. La consécration d'évêque.

7. Nicolas coupe l'arbre de la déesse.

8. Le sauvetage des marins.

9. La libération de trois innocents.

10. Nicolas apparaît à l'empereur.

11. Nicolas apparaît au préfet de Constantinople.

12. Nicolas apparaît aux trois chefs militaires dans la prison.

13. Nicolas donne du pain à ses frères.

14. La sépulture de saint Nicolas.

15. Le sauvetage de Dimitri.

16. La libération de Basile.

17. Saint Nicolas défend un juif contre les chrétiens, et le convertit.

18. Nicolas achète leur tapis à un couple de pauvres.

19. Nicolas combat l'iconoclasme.

20. Nicolas combat le culte de la déesse Artémis.

21. Nicolas combat l'Arianisme.

 


Pour conclure cette évocation de saint Nicolas nous aurons recours une fois de plus à une légende qui nous a été rapportée par Vladimir Soloviev : "Saint Nicolas et saint Cassien, nous dit une légende populaire russe, envoyés du paradis pour visiter la terre, aperçurent un jour sur leur chemin un pauvre paysans dont la charrette chargée de foin était profondément embourbée, et qui déployait des efforts infructueux pour faire avancer son cheval.

- Allons donner un coup de main à ce brave homme, dit saint Nicolas.

-Je m'en garderai bien répondit saint Cassien : j'aurais peur de salir ma chlamyde.

- Attends-moi alors, ou bien poursuis ton chemin sans moi, dit saint Nicolas, - et s'enfonçant sans crainte dans la boue, il aida vigoureusement le paysan à tirer sa charrette de l'ornière." (9)

(9) V. Soloviev, La Russie et l'Eglise universelle, Paris Albert Savine 1889, p 1-2

Soloviev cite cette histoire et surtout la commente d'une façon qui est éclairante pour notre présente étude. En effet à travers le texte de Soloviev on comprend mieux deux traits sur lesquels on a ici même essayé d'attirer l'attention.

Le premier point concerne le sens même de la légende hagiographique. Au lieu de viser d'abord à une rigueur historique, elle cherche avec ses moyens symboliques à faire comprendre les valeurs religieuses spécialement présentes dans le saint dont on raconte la vie. Plus que comme une histoire, la légende est alors à comprendre comme une rhétorique destinée à dire le plus clairement possible la sainteté.

L'autre trait que cette légende illustre est d'un tout autre ordre puisqu'il concerne la popularité extraordinaire de saint Nicolas ; si l'on est attentif au sens de la légende on comprend que cette popularité tient d'abord à ce qu'il est le témoin de la charité fraternelle, le modèle d'une charité fraternelle accessible à tous. Puisque l'on touche à un point capital de l'évangile, à un critère infaillible de la vie chrétienne authentique, n'est-il pas alors tout à fait naturel que dans l'Eglise une place d'honneur soit faite à saint Nicolas, et que son image soit si souvent représentée?

 

Egon Sendler dans Plamja n° 90 

 

 

       

 

 



25/06/2016
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